On a là une estimation de la qualité de la gestion de notre système éducatif depuis 2018. Tout cela est passé sous silence dans le discours de G. Attal qui préfère parler de l’échec des mesures de 2013 alors même que Pisa 2018 avait montré un redressement en maths. Le dernier enseignement est peut-être celui qu’il faut vraiment garder en mémoire au regard des annonces Attal. Un nombre important de parents ne suit plus la scolarité de leurs enfants et se désintéresse de l’Ecole. Ce n’est pas le moment de prendre des mesures qui éloignent les parents de l’Ecole
Déni de réalité budgétaire
Ce ne sont pas seuls dénis de réalité. Quand Gabriel Attal annonce que “on créera les postes qu’il faut pour qu’il y ait qu’une quinzaine d’élèves en groupe 1” au collège, il faut quand même lui rappeler que la loi de programmation budgétaire 2023-2027 fixe une quasi-stabilité budgétaire pour l’Education nationale. S’il lui faut augmenter d’un tiers le nombre de professeurs de maths et de français des collèges cela représente 18 373 postes à financer, soit un peu moins d’un milliard. On ne sait d’ailleurs où il les trouverait car il n’arrive déjà pas à remplir les postes ouverts dans ces deux disciplines.
La remarque vaut aussi pour les manuels scolaires. On a bien compris que la prise en charge exceptionnelle par l’Etat de nouveaux manuels en CP et CE1 se fait dans l’espoir d’éviter une opposition des éditeurs à la labellisation. Mais Gabriel Attal veut aussi changer les manuels de maths, français et langues au collège, dont le coût revient aussi à l’Etat. Il faut rappeler qu’en 2016 le remplacement des seuls manuels du collège avait couté 126 millions et encore 83 millions en 2017.
A tout cela on peut ajouter le coût des redoublements. Si l’on prend G. Attal au sérieux, le taux de redoublement remonterait nettement. Annuler la loi de 2013 sur ce point coûterait 2 milliards si on en croit l’IPP. Là non plus, ce n’est pas ce que prévoit la programmation budgétaire.
Mais il faut maintenant s’habituer à ce que les annonces ministérielles soient contredites par les décisions budgétaires. Gabriel Attal a aussi annoncé une réforme de la formation initiale des enseignants qui lui couterait 20 000 postes qui ne sont pas non plus prévus au budget…
Des promesses fallacieuses aux enseignants
Restons dans les dénis. G. Attal promet de “mieux soutenir les professeurs pour mener la bataille des savoirs”. Et nombre d’enseignants sont sensibles à un discours qui leur promet de “rétablir la vérité des notes” et de leur donner “le dernier mot’ pour les redoublements. Les scandaleuses manipulations de notes que JM Blanquer a imposé, allant, par exemple, jusqu’à reconnaitre la valeur des notes des boîtes à bac pour l’examen, n’y sont pas pour rien.
Mais que dit réellement Gabriel Attal sur l’autorité des professeurs ? Il annonce de nouveaux programmes qui n’imposent pas seulement de nouveaux contenus mais aussi de nouvelles méthodes. Celles que le ministère estime les seules valables pour enseigner la lecture ou les maths, de l’école au lycée. Les professeurs sont tellement considérés qu’ils sont jugés incapables d’exercer leur liberté pédagogique et d’enseigner à leur façon à leurs élèves. Quelle mésestime et quelle régression !
Gageons que le “dernier mot” du redoublement appartiendra à “l’équipe pédagogique” et non au conseil de classe. L’équipe pédagogique c’est en réalité l’inspecteur ou le chef d’établissement. Sinon cela pourrait coûter trop cher au budget du ministère. Et ce sera heureux car regardons aussi ce que l’évaluation directe du bac au contrôle continu coûte aux professeurs de lycée par rapport à l’ancienne évaluation par examen. Ont-ils davantage d’autorité ou sont-ils soumis à davantage de pressions ?
Qui échoue au brevet ou au bac ?
Si l’on doit retenir une seule phrase de Gabriel Attal c’est celle-ci : “Le taux de réussite au brevet et sans doute aussi au bac diminuera dans les années à venir. J’en ai conscience et je l’assume”. Cela vient juste après “je me bats de toutes mes forces contre la ghettoïsation”.
Mais regardons qui échoue au brevet et au bac. Seulement 3% des enfants de cadres échouent au brevet contre un enfant d’inactif sur quatre (24%), un sur cinq des enfants d’ouvrier (18%) et un sur huit des enfants d’employés (12%). Les proportions sont à peu près les mêmes au bac.
Quand Gabriel Attal annonce une hausse du taux d’échec au brevet et au bac, cela ne concerne pas les enfants favorisés. On a vu que l’écart social de réussite scolaire est au maximum en France dans l’OCDE. Les mesures de Gabriel Attal ne vont que renforcer ces inégalités sociales de réussite scolaire.
La régression sociale au programme
Pour les enfants des milieux populaires, le risque de redoublement pourrait être renforcé dès le primaire avec ce que cela peut entrainer de stigmatisation. Celle-ci s’installe officiellement dès la 6ème où les élèves sont triés selon leur niveau en trois groupes. C’est quelque chose que l’Ecole française a suffisamment pratiqué pour que l’on sache déjà qui va recevoir les “groupes de nuls”. Ils seront donnés aux enseignants les plus expérimentés ou aux débutants ? A des professeurs du second degré ou à des professeurs des écoles excédentaires en raison de la chute démographique ? On a beau nous dire que ces groupes seront temporaires. Ce n’est pas vraiment ce que l’Ecole française sait faire. Par contre elle sait très bien faire des filières de relégation, comme le Cnesco l’avait montré en 2015.
Arrive l’examen du brevet. A quoi servira la “prépa lycée” annoncée par Gabriel Attal pour les enfants ayant échoué au brevet ? A les renforcer ou à les faire décrocher et qu’ils quittent le lycée sans rien ? Les mesures des annonces Attal seront-elles financées par le décrochage de 90 000 jeunes supplémentaires chaque année ? Sous prétexte d’excellence, les annonces de Gabriel Attal sont en réalité anti-sociales.
Pisa 2022 montre qu’un nombre nettement plus important de parents ne croit plus dans l’Ecole. Est-ce opportun d’augmenter le ressentiment envers l’Ecole dans le pays ? N’en a t-on pas déjà trop payé le prix ?
Allons nous renier notre vocation ?
Depuis plus d’un siècle, les gouvernements français ont mené une politique inverse. Celle de la démocratisation scolaire, qui s’est accélérée depuis les années 1970. Celle-ci connait des limites bien connues. Nous avons gardé un double enseignement supérieur avec un financement très généreux pour les plus favorisés et la pénurie pour les autres. Nous avons aussi gardé des filières différentes pour les lycées.
Mais au moins des efforts ont été faits pour renforcer pas à pas cette démocratisation. Le hasard de l’actualité fait que l’Inspection générale publie ces jours-ci un rapport sur une de ces mesures, prise par N. Vallaud-Belkacem en janvier 2017 : l’orientation prioritaire des bacheliers professionnels en BTS par décision du conseil de classe du lycée professionnel. Cette priorité n’a jamais été totalement appliquée : sur plus de 100 000 bacheliers professionnels, 34 236 ont eu cet avis favorable en 2022 mais seulement 30 732 ont eu une proposition de place. On ignore combien ont eu réellement une place. Dans l’esprit du temps, l’Inspection générale recommande d’en finir avec cette priorité. Cette recommandation vient alors que Parcoursup a déjà supprimé le droit des bacheliers d’aller dans le supérieur et mis en place un tri des jeunes selon le lycée d’origine. Ce qui revient à établir un tri social dans l’accès au supérieur là où un droit existait.
D’autres pays font des choix inverses. Il faut voir ce que l’Angleterre, par exemple, fait pour aller chercher les lycéens des milieux populaires et les convaincre de faire des études supérieures.
Notre gouvernement est en train de construire un système éducatif qui décourage les enfants de milieu populaire de faire des études. Il multiplie les obstacles. Il rétablit des filières ségrégatives. Il généralise le tri et l’éjection. Est ce vraiment ce que veut la société française ? Est-elle prête à payer le prix inévitable de cette régression sociale et des plafonds qu’elle met en place face aux espoirs des familles ? Faut-il voler leurs espoirs ?
Et les enseignants ? La plupart sont entrés dans ce métier pour voir des enfants s’épanouir. Leur vraie gratification c’est la réussite et surtout celle des plus démunis. Les enseignants sont-ils prêts eux aussi à se faire voler leurs espoirs ?
François Jarraud