Le 11 novembre 1918, à quelques minutes du cessez-le-feu, l’agent de liaison Augustin Trébuchon est tué alors qu’il porte un dernier message, devenant ainsi le dernier soldat français disparu pendant la Première Guerre mondiale...
- Abattu d'une balle dans la tête à quelques minutes du cessez-le-feu, le 11 novembre 1918, Augustin Trébuchon est considéré comme le dernier soldat français tué pendant le conflit.
- Ce berger de Lozère s'était engagé volontairement dans l'armée en 1914 et avait survécu aux pires batailles.
- Un parcours singulier raconté dans Augustin, un roman du journaliste Alexandre Duyck, qui se plonge dans sa peau.
Selon la date inscrite sur sa tombe, à Vrigne-Meuse, dans les Ardennes, sa mort remonte au 10 novembre 1918. La veille de la signature de l’armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale. Mais le soldat Augustin Trébuchon a en réalité été abattu d’une balle dans la tête le 11 novembre, vers 10h50… dix minutes avant que ne retentisse, dans le village voisin de Dom-le-Mesnil, le clairon annonçant la fin du conflit.
Ce funeste coup du sort vaut aujourd’hui à ce modeste berger de Lozère d’occuper une place singulière dans l’histoire : celle de dernier soldat tué pendant la Grande Guerre. Augustin Trébuchon représente aussi, au même titre que ses 17 frères d’arme tombés le 11 novembre, une victime honteuse pour l’armée française – d’où la falsification de leur véritable date de disparition, pour éviter de ternir le jour de l'armistice.
« On ne trouve rien sur Augustin Trébuchon dans les archives »
« Je ne sais plus comment j’ai découvert Augustin Trébuchon, sûrement au fil de mes recherches sur Internet, car j’ai toujours été intéressé par les deux guerres mondiales » raconte Alexandre Duyck, journaliste et auteur du roman Augustin (JC Lattès), qui retrace son parcours.
La fascination du journaliste pour ce paysan qui s’engage dans l’armée en 1914, à 36 ans, remonte toutefois à loin : « En 2008, pour un reportage du Journal du Dimanche sur la dernière bataille de la Première Guerre mondiale, j’ai visité le village de Vrigne-Meuse et j’ai rencontré son maire, qui était un peu la mémoire vivante d’Augustin Trébuchon. Son histoire m’est restée en tête et j’ai gardé cette documentation car je voulais en faire quelque chose de plus long qu’un simple article. »
Mais comment raconter la vie de cet homme, quand on est, en tant que journaliste, attaché à l’exactitude des faits et que son sujet d’étude potentiel n’a laissé quasiment aucune trace ? « On ne trouve rien sur Augustin Trébuchon dans les archives, à part sa fiche matricule. Il n’a pas laissé de témoignage, lui qui ne savait sans doute ni lire ni écrire. Et son descendant, un arrière-petit neveu, n’a gardé de lui que ses deux médailles : la Croix de guerre et celle de la bataille de Verdun » confie l’auteur.
Le déclic lui viendra bien plus tard, en 2017, après avoir raconté, au détour d’une rencontre, l’histoire de Trébuchon à une éditrice de JC Lattès… qui lui suggère d’en faire un roman. Dans Augustin, Alexandre Duyck se glisse donc dans la peau de « Trébuch’» pour raconter les pensées, les peurs, et les rêves de l’agent de liaison, qui aura, pendant quatre ans, parcouru d’innombrables kilomètres, du front à l’arrière, pour transmettre les messages militaires confiés par ses supérieurs.
Un hommage à la figure du « soldat-berger »
En tant qu’aîné d’une fratrie de sept orphelins, Augustin Trébuchon aurait pourtant pu échapper à la guerre, lui qui comptait parmi les rares hommes exemptés. Mais il a préféré s’engager et s’est ainsi retrouvé au premier plan de toutes les batailles les plus marquantes du conflit, de la Marne au Chemin des Dames en passant par Verdun. Deux mois avant sa mort, le soldat apprécié pour sa fiabilité – lui qui a pris une unique permission en quatre ans – est même promu première classe.
« Ce qui m’a frappé, c’est sa destinée : se porter volontaire pour un conflit alors qu’il n’était pas patriote, se retrouver embarqué à l’autre bout de la France alors qu’il n’a jamais quitté la Lozère, survivre pendant quatre ans tout en étant très exposé… L’idée était de faire comprendre pourquoi il s’engage, lui qui n’a rien contre les Allemands, et comment il tient bon pendant quatre ans dans des conditions épouvantables » souligne Alexandre Duyck, qui espère, par sa « modeste plume, réhabiliter la France rurale qui disparaît aujourd’hui et rendre hommage à la figure du soldat-berger ».
Le symbole (fatal) du 11 novembre à 11 heures
Augustin souligne aussi la futilité de la disparition de Trébuchon, chargé de « porter un message loin d’être de la plus haute importance stratégique à 30 minutes du cessez-le-feu », comme le souligne son biographe-interprète : « Dans l’absolu, on aurait pu envoyer un télégramme juste après la signature de l’armistice, à 5h15, pour l’annoncer. L’absurdité de la mort de Trébuchon tient à cette date symbolique du 11 novembre à 11 heures, très stricte, peut-être très militaire [voulue par le maréchal Foch]. »
Le chargé de liaison du 415e régiment d’infanterie est-il bien le dernier soldat français tué pendant la Grande Guerre ? « On ne pourra jamais l’établir avec certitude puisqu’on ne peut pas envoyer de médecin légiste pour vérifier… » reconnaît Alexandre Duyck. « Ça relève du postulat, on se base sur le témoignage des deux soldats qui sont allés chercher le clairon et ont enjambé son corps, vers 10h45-50 – avant que le clairon sonne. »
L’auteur précise toutefois : « Les historiens considèrent que les soldats tués après 11h ne relèvent plus de la guerre stricto sensu mais du fait divers, puisque le cessez-le-feu avait sonné. Le nom de Trébuchon revient à chaque fois : il est très généralement admis qu’il s’agit du dernier mort français ».
Malgré ce statut singulier, la tombe de Trébuchon n’a pour l’instant jamais reçu la visite d’un président de la République. Longtemps espéré, l’hommage d’Emmanuel Macron pendant son « itinérance mémorielle » dans l’Est, à l’occasion de la commémoration du centenaire de 14-18, n’aura finalement pas lieu.
Une occasion manquée qui devrait raviver des souvenirs amers à Vrigne-Meuse. « En 1998, Jacques Chirac devait venir mais il a annulé sa visite au dernier moment, ce qui avait beaucoup froissé les habitants » rappelle Alexandre Duyck.
Alexis Orsini