Le nouveau baccalauréat révèle chaque jour ses défauts. Les épreuves de spécialité se sont tenues, du 20 au 22 mars, respectant, pour la première fois, le calendrier prévu ; mais, compte tenu de la multiplicité des combinaisons possibles, tous les candidats d’une même matière n'ont pu passer la même épreuve en même temps. Le résultat était prévisible : certains sujets ont été jugés plus difficiles que d'autres, ce qui a suscité, comme l'écrit Le Monde du 25 mars, « l’incompréhension des élèves et le désarroi des enseignants ».
Comme toujours, le ministère se veut rassurant : « Les commissions d’harmonisation sont faites pour ça » et permettent « de corriger d’éventuels écarts de notation, que ce soit entre correcteurs ou entre épreuves », a expliqué le directeur général de l’enseignement scolaire. Depuis des années, même avec l'ancien baccalauréat, on procède à des aménagements de barème et à une harmonisation des notes, certains correcteurs étant plus sévères que d'autres. Dans tous les cas, il faut arriver au pourcentage habituel. Mais, avec le nouveau bac, cette harmonisation devient kafkaïenne.
D'abord, des « commissions d'entente » testent des « copies témoins », établissent des critères de correction communs, révisent les barèmes moins en fonction des difficultés du sujet que des premières réactions des candidats et de leurs familles. Ensuite, pendant les corrections qui se font en ligne, des « commissions d'harmonisation » disposent, pour chaque correcteur, des moyennes, des écarts types, etc., et ont « toute latitude pour procéder à une harmonisation des notes finales à la baisse comme à la hausse ». C'est beau, l'informatique qui vous surveille à distance ! En 2022, des notes avaient été modifiées sans même que leurs correcteurs en fussent prévenus.
« On n’est plus réellement sur des sujets nationaux et il faut éviter que cela désavantage les élèves », déclare le secrétaire général d'un syndicat d'inspecteurs, comme s'il découvrait la Lune. Que pourrait-on dire du contrôle continu, dont le poids est immense ? L'objectif du ministère, pour les épreuves de spécialité comme pour tout le reste des notes prises en compte, est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de vagues. Il s'agit, avant tout, de faire illusion et de persuader l'opinion que ce diplôme, bien que largement distribué, a conservé toute sa valeur, le taux de réussite attestant du bon niveau des élèves et de la bonne marche du système éducatif. L'opinion se laissera-t-elle duper longtemps ?
Force est de constater que les épreuves nationales avaient du bon et que le baccalauréat d'aujourd'hui ne vaut pas celui d'autrefois. Les bons élèves continuent de l'obtenir, parfois avec des notes inférieures à ce qu'ils méritaient – harmonisation oblige –, les élèves méritants ne sont pas toujours récompensés de leurs efforts, les médiocres sont surpris de leur succès et s'engagent dans des études supérieures où ils se heurtent vite à l'échec, prenant tardivement conscience de leurs insuffisances et de l'escroquerie dont ils ont été les victimes. Le baccalauréat, comme les assignats, se déprécie, le passeport pour tous devient passeport pour nulle part.
Nos dirigeants savent très bien qu'ils font circuler de la fausse monnaie mais n'en ont cure. Ils peuvent afficher de bons chiffres et ce ne sont pas leurs enfants qui en subissent les conséquences mais les enfants des autres. Ils disposent, pour leurs familles, des bonnes entrées, des bonnes relations et de l'argent qui ouvre bien des portes. Verra-t-on, un jour, les Français descendre dans la rue pour dénoncer ces faussaires ?
Philippe Kerlouan