J'avais initialement prévu un sujet un peu léger pour cette dernière chronique avant l'été. Et puis il y a eu Nanterre.
Abasourdie par le traitement médiatique hallucinant de ces « événements », pour reprendre la qualification de la guerre d'Algérie, j'ai changé mon fusil d'épaule. Avez-vous prêté attention aux éléments de langage utilisés pour couvrir ce qui se passe, depuis quelques jours ?
Déjà, de qui parle-t-on ? Dans de nombreux communiqués, bandeaux télévisés et autres, on nous parle du « petit Naël ». Naël est l'abréviation bretonne du prénom hébraïque Nathanaël. Cela n'a pas tout à fait la même signification ni la même portée, symbolique, politique ou culturelle, que Nahel, prénom réel de ce jeune homme arrêté dans sa course par un policier alors qu'il roulait sur une voie de bus. Un nom n'est pas anodin ; dans les civilisations méditerranéennes, le nom porte même une charge ontologique forte.
Comme d'habitude, toutes les personnes auxquelles les médias subventionnés donnent la parole s'accordent à dire que c'était un garçon « poli », « respectueux », qui « n'avait jamais rien fait », ce qui justifierait évidemment la polémique autour de ses éventuels « antécédents judiciaires », pourtant maintenus par le secrétariat du procureur de Nanterre, ce dernier refusant de revenir sur sa déclaration malgré les dénégations de la famille, comme le rapporte… Libération. Si même les « anges » ont un passif judiciaire, maintenant, c'est vraiment que notre société est discriminatoire et pousse-au-crime… ou que ce sont des anges déchus. « Petit ange » est en effet la périphrase qu'a utilisée Mbappé pour désigner ce garçon très précoce qui conduit à un âge où l'on circule plutôt en bus. Le terme est choquant quand on se penche sur la biographie de l'individu - à 17 ans, on n'est plus un « enfant » - et ne laisse rien présager de bon pour l'avenir si l'on en revient, encore une fois, à son étymologie : « ange » signifie l'annonciateur. Et les temps qui s'annoncent ne seront pas un champ de lys et de roses.
Notre Président n'a pas manqué d'exprimer au plus vite son « soutien à sa famille et à ses proches », à cette mère qui, dans l'annonce vidéo de la marche blanche qu'elle organisait, a dit : « On fait une révolte s'il vous plaît pour mon fils. » Les mots ont du sens, et ils ont du poids. On les utilise, aujourd'hui, n'importe comment pour tordre et distordre le réel, pour le grimer aux couleurs de l'idéologie. C'est ce que fait le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, normalien, agrégé de sciences économiques et sociales, directeur de collection chez Fayard puis chez Flammarion, lorsqu'il déclare, sur Twitter, sans rire : « Si tant de feux d'artifice sont tirés, ces derniers jours, on peut les voir aussi comme des fusées de détresse envoyés (sic) par les habitants des quartiers qui veulent signifier aux autres : regardez-nous, nous aussi, nous sommes en danger par rapport à la police. » Ben voyons ! Il est dommage que la plupart des « jeunes » qui brûlent les mairies consomment plus de vidéos TikTok que de messages écrits, sinon, ils se bidonneraient, entre deux pillages de magasins, en découvrant les intentions poétiques qu'on leur prête. M. de Lagasnerie est un bon produit de l'école française par laquelle il a été multi-diplômé, cette même école dont on fait semblant de croire qu'elle pourrait, si elle avait toujours « plus de moyens », réduire tous les maux de notre société.
Les guillemets dont j'use et abuse dans cette chronique ne sont pas là pour atténuer la portée des mots employés mais bien pour identifier les citations de mots qui tournent ad nauseam dans toutes les bouches depuis quelques jours.
Terminons par cette expression que l'on entend beaucoup, celle de « guerre civile ». Là encore, le langage sert à requalifier le réel et, donc, à le modifier. Une guerre civile oppose des gens qui se reconnaissent citoyens d'une même patrie, c'est une guerre fratricide, la patrie étant la terre de nos pères. Sur les vidéos qui circulent en grand nombre, on entend les émeutiers, entre un « wesh » et un « walla », déclarer qu'ils veulent « brûler la France ». Ils ne se définissent pas - contrairement à ce que leurs défenseurs ne cessent de déclarer devant les micros des journalistes - comme des Français et ne se battent pas pour sauver la France d'on ne sait quel danger. Ils sont le danger et ne se reconnaissent comme « frères » qu'entre eux. Oui, les mots ont un sens. L'occasion, pour beaucoup, d'ouvrir un dictionnaire...
Virginie Fontcalel