On l’avait oublié, et pourtant il a suffi que la famille de Claude Allègre annonce son décès à l’AFP, ce 4 janvier 2025, pour que ressurgisse, intacte, l’idée que s’en faisait alors l’opinion publique. Le revoilà dans notre mémoire, comme du temps de Lionel Jospin. C’est bien le même visage jovial et joufflu, le même œil pétillant derrière les mêmes fines lunettes et sous la même broussaille de sourcils. Il nous revient avec son bon sens et ses formules un peu outrancières, comme s’il n’avait jamais quitté le gouvernement.
Claude Allègre, était né en 1937, juste avant la guerre. Famille de profs, village héraultais, il y avait quelque chose de très IIIème République jusque dans les débuts de son ascension universitaire : licence à 23 ans, doctorat en physique à 30, Claude Allègre s’était ensuite spécialisé dans la géochimie, avant de devenir, à 33 ans seulement, directeur du célèbre institut de physique du globe de Paris (IPGP). Ce parcours jusque-là épatant de rationalité et de brio allait malheureusement être entaché, pourrait-on dire avec un peu d’humour, par son adhésion, en 1973, au parti socialiste.
Certaines décisions prises par Claude Allègre, point tant dans le domaine de la géochimie pure que dans celui de la gestion des affaires publiques, allaient confirmer que son talent était bien davantage scientifique que politique. En 1976, Allègre se disputa avec Haroun Tazieff au sujet de l’éruption de la Soufrière en Guadeloupe. Fort de sa position de directeur de l’IPGP, il décida que la menace était sérieuse et fit évacuer Basse-Terre (à grands frais), puis virer abusivement Haroun Tazieff de son poste à l’institut de physique du globe -Tazieff dont l’histoire devait pourtant révéler qu’il avait eu raison de ne pas s’affoler. En 1994, président du Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), il en est renvoyé en 1997 pour sa gestion dispendieuse. En revanche, d’un point de vue scientifique, les années 70 à 90 lui permettent de montrer la rigueur et l’intelligence de son raisonnement ainsi que l’étendue de ses connaissances. Moitié scientifique à la tête bien faite, moitié socialiste aux mains percées : ainsi était Claude Allègre lorsqu’il fut appelé, en 1997, par son vieil ami Jospin, qu’il connaissait depuis leurs années d’adolescence à la résidence universitaire Jean-Zay, à Antony. Lionel Jospin, lui-même ancien ministre de l’Éducation, venait de devenir premier ministre, et proposait à son ami Claude de prendre ce délicat portefeuille.
À l’Éducation, Allègre asséna quelques vérités sur les profs (« les enseignants ont quatre mois de vacances et, en plus, ils prennent leurs congés formation sur la scolarité »), l’enseignement des maths (« Les maths sont en train de se dévaluer de manière quasi inéluctable. Désormais, il y a des machines pour faire les calculs ») et de l’anglais (« les Français doivent cesser de considérer l'anglais comme une langue étrangère »). Tout cela fut résumé par le célèbre « Il faut dégraisser le mammouth », et tout était tellement vrai que Claude Allègre, qui venait de se montrer beaucoup plus intelligent que socialiste, dut démissionner en 2000.
Après avoir témoigné sa sympathie à Sarkozy dans les années 2000, l’ancien ministre s’était fait discret. Il a eu tout le loisir de lire le classement PISA chaque année et de chroniquer l’effondrement de l’autorité. Il aura été, à l’Éducation, notre dernier chasseur de mammouths….
Arnaud Florac