Discours du président Macron aux Mureaux le 2 octobre 2020
En apparence, et seulement en apparence, le président Emmanuel Macron a fait un grand discours le 2 octobre dernier aux Mureaux sur le séparatisme. Ce discours a été plutôt bien accueilli par les médias, si l'on en croit les chaînes de radio et de télévision. Et pourtant, il comporte des fautes, voire des paradoxes avec la réalité. Notre pays est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, et cet ensemble de qualités citoyennes indiscutables, est le fruit de la loi du 9 décembre 1905.
Comment concevoir un État qui sort de son rôle légaél poiur s'immiscer dans la religion ? Comment un État réputé laïque peut-il s'approprier la réorganisation d'une seule religion ? Comment l'État peut décider le "formatage" d'une religion, en l'occurrence un "islam à la française" qui serait susceptible désormais de s'intégrer aux valeurs républicaines ?
Il ne faut tout mélanger et tout confondre. En fait, ce "séparatisme" n'a pas un grand sens, et il suffit de se rendre aux Mureaux pour mieux comprendre la situation. Une situation que les habitants de cette ville connaissent bien évidemment. Ainsi, les annonces du président n’ont pas laissé ces personnes indifférentes.
Beaucoup pensent que sa visite aux Mureaux, pour évoquer un sujet si important, ne peut que pointer du doigt une commune déjà fortement marquée par son omniprésence dans les faits divers.
« J’habite les Mureaux depuis 45 ans, il n’y a pas de problème ici. Mes quatre filles ont toutes bien réussi dans la vie témoigne une retraitée, foulard sur la tête, ayant voté pour Macron en 2017. Les Musulmans sont montrés du doigt. Maintenant, il faudra peut-être baisser la tête quand on sortira. » « Les amalgames existent. On associe musulmans et islamisme », regrette Dalila, 51 ans.
De même, pour Hacene aussi, cette visite ne peut que « stigmatiser » Les Mureaux. Il estime que la « mixité ethnique » est une richesse pour la commune : « Les problèmes ici sont les mêmes qu’ailleurs. C’est une belle ville, on y vit bien, poursuit ce quinquagénaire. On est peut-être vu comme une communauté à part, mais avant tout, on est Français. »
Par contre, certains considèrent que le discours du président fait vraiment sens :
Financement des mosquées, scolarisation des enfants, formation des imams, contrôle des associations… Edgar, la quarantaine, valide point par point les annonces du chef de l’État : « Chacun est libre d’adorer le dieu de son choix, sans l’imposer aux autres ».
Mais à quelques centaines de mètres de la mairie, les militants de la CGT s’étaient rassemblés pour manifester leur désaccord. Sonia Hamdouchy, une déléguée syndicale, s’inscrit en faux par rapport aux propos du président. : "On instrumentalise encore une fois les Mureaux, déplore-t-elle. On peut vivre en cité, porter la barbe ou le foulard, et être inséré, correct, actif ! "
Au-delà de ces polémiques, il existe également certaines divergences au niveau de l'Éducation et particulièrement de l'École.
L'analyse qui va suivre est fort intéressante et elle a été faite par un spécialiste de l'enseignement en la personne de François Jarraud, rédacteur en chef du Café Pédagogique
Macron, le "réveil républicain" et l'Ecole
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par François Jarraud - L'Expresso Café Pédagogique
La loi contre les séparatismes se réduira à un seul : le séparatisme islamique. Emmanuel Macron a présenté le 2 octobre, aux Mureaux, les principaux points de cette loi qui concernera en premier point l'Ecole. JM Blanquer a donné des précisions le 4 octobre sur BFM. Le président de la République annonce la fin de l'instruction à domicile, la suppression des ELCO, le renforcement des contrôles sur les écoles hors contrat, celui des cours d'arabe. Comment concilier "réveil républicain" et dénonciation et réorganisation d'une seule religion ? Comment le faire avec un soutien important à l'enseignement catholique et le maintien d'un concordat en Alsace - Lorraine ? L'instruction, prétexte ou réelle finalité ?
Des séparatismes à une seul...
" La laïcité, c'est la neutralité de l'État et en aucun cas l'effacement des religions dans la société dans l'espace public", affirme le 4 octobre le président de la République. Pour autant son discours "contre les séparatismes" se réduit à un seul. "Ce à quoi nous devons nous attaquer, c'est le séparatisme islamiste", dit -il avant d'ajouter : " L’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde... Il y a une crise de l'islam". Cette crise religieuse est liée à une crise du passé colonial. " Nous voyons des enfants dans la République qui n'ont jamais connu la colonisation, dont les parents sont sur notre sol et les grands-parents depuis longtemps, mais qui tombent dans le piège, là aussi méthodique de certains autres qui utilisent ce discours, cette forme de haine de soi que la République devrait nourrir contre elle-même, mais aussi de tabous que nous avons nous-mêmes entretenu et faisant miroiter leurs origines avec notre histoire, nourrissent aussi ce séparatisme".
Le projet de loi, qui sera présenté le 9 décembre en conseil des ministres, reposera sur plusieurs axes dont le controle des décisions municipales et celui des associations, notamment de leur financement, une réorganisation de l'islam en France faite par le CFCM mais sous la pression de l'Etat qui fixe comme objectif un "islam des Lumières" français, avec notamment un clergé labellisé par le CFCM et un dispositif de controle des dirigeants.
L'Ecole mobilisée dans le "réveil républicain"
Mais l'essentiel du discours concernait l'Ecole. " C'est vraiment le coeur de l'espace de la laïcité", dit le président. Dénonçant des écoles clandestines, E Macron annonce la suppression de l'instruction à domicile. " Dès la rentrée 2021, l'instruction à l'école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L'instruction à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé". D'autre part les ELCO , des enseignements de langue et culture d'origine qui concernaient 9 pays (l'Algérie, la Croatie, l'Espagne, l'Italie, le Maroc, le Portugal, la Serbie, la Tunisie et la Turquie) seront remplacés par des EILE où les enseignants seront contrôlés par le ministère de l'Education nationale. A vrai dire cette transformation, annoncée en février 2020, doit beaucoup au gouvernement précédent qui a négocié avec les pays concernés. Les écoles hors contrat seront davantage controlées , notamment leur personnel et leur financement. Enfin le président a annoncé vouloir renforcer l'enseignement de l'arabe dans le système éducatif. Aujourd'hui seulement 3 834 jeunes étudient l'arabe dans l'école publique alors que le président évalue à 60 000 ceux qui l'étudient dans des associations, toutes soupçonnées d'encourager l'islamisme radical.
Intervenant le 4 octobre sur BFM, JM Blanquer a apporté quelques précisions. Sur l'instruction à domicile il estime que 25 000 jeunes sont malades et pourront continuer l'enseignement à domicile. Pour 25 000 autres il faudra aller à l'école. Des controles médicaux stricts seront exercés par la médecine scolaire, qui semble pourtant déjà largement débordée.
Pour les écoles hors contrat, "ce que permettra la loi c'est des fermetures administratives que l'on décidera de manière rapide", dit-il. Un rapport sur les atteintes à la laïcité sera publié "dans deux semaines" ou "début novembre". "Il n'y a rien de spécialement inquiétant dans ce rapport", ajoute -il.
Pas de repentance...
Le ministre a aussi réagi à l'allusion d'E Macron sur le passé colonial de la France. "Si on fait de la repentance plus plus on a de l'intégration moins moins" , a dit JM Blanquer. "On fait envie quand on est fort". Des propos qui rappellent ceux du 1er octobre où le ministre a assimilé les études postcoloniales au terrorisme. Si JM Blanquer a évoqué "toutes les mémoires", il est clair que les propos d'E Macron et ceux de son ministre invitent à une relecture de la critique du colonialisme et de ses conséquences sur la société française contemporaine.
Scolarisation impossible
Il faudra attendre le contenu de la loi pour se faire une idée précise de ce "réveil républicain", une formule déjà pas très heureuse. Mais dès maintenant on peut l'interroger.
La scolarisation obligatoire de tous les enfants peut séduire une partie des enseignants, attachés à l'intégration de tous les enfants dans le creuset de l'école républicaine. Cette vision est quand même déjà démentie par la réalité d'une Ecole marquée par la ségrégation. Surtout elle semble bien problématique.
D'abord, juridiquement. Une décision du Conseil constitutionnel, le 23 novembre 1977, a reconnu que "le principe de la liberté de l'enseignement... constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République". Ces "principes fondamentaux" sont mentionnés dans le préambule de la constitution et ont donc valeur constitutionnelle. La convention européenne des droits de l'Homme (art 9) mentionne la liberté de l'enseignement dans les droits de l'Homme, comme le fait aussi la Convention universelle des droits de l'Homme (art 26).Inversement le Conseil d'Etat, dans un avis du 29 novembre 2018, rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le droit d'instaurer une scolarisation obligatoire reconnait le droit à l'instruction. Toucher à cet équilibre risque d'avoir des conséquences inattendues pour le gouvernement et pourrait mobiliser contre la loi des adversaires eux aussi inattendus. Idem pour les mesures sur les écoles hors contrat.
Mais c'est surtout sur le terrain que cette scolarisation universelle nourrit le doute. On peut se demander si on n'est pas face à du pur déclaratif. On peut douter de la volonté réelle de ce gouvernement de mettre en place la scolarité obligatoire.
Car en réalité ce ne sont pas 50 000 enfants qui ne sont pas dans les écoles, comme le dit E Macron. Il faudrait y ajouter environ 100 000 enfants qui vivent dans la rue. L'Etat n'a pas les moyens de scolariser autant de jeunes et il est probable qu'il ne les aura pas davantage en 2021. Cela consommerait plus de 6000 postes. Par ailleurs le gouvernement s'est toujours opposé aux projets de loi qui auraient rendu possible l'obligation scolaire. Par exemple lors de la proposition de loi Buffet. Plus tard s'il a accepté, dans la loi de 2018 la possibilité pour le préfet d'inscrire des enfants dans une école, il s'est gardé de la mettre en pratique. On se rappelle l'incident de Chilly-Mazarin en 2018 où l'éducation nationale est intervenue pour ne pas scolariser des enfants qu'un maire ne souhaitait pas accueillir. Dans certains départements (Guyane, Mayotte) le nombre d'enfants non scolarisés est impressionnant. Jusque là le gouvernement a surtout démontré son absence de volonté de scolariser des enfants qui le voulaient mais qui déplaisaient en raison de leur origine.
L'application de cette mesure de scolarisation obligatoire risque fort de ne se faire qu'à la tête du client, avec un objectif policier de controle des populations et non dans l'intérêt de tous les enfants et de l'Ecole. Dans cette hypothèse, cela renforcerait la tonalité anti musulmane des annonces et instrumentaliserait l'Ecole dans un combat qui n'est pas le sien.
Double assignation
D'autres points sont gênants. Peut-on lancer un appel au réveil républicain en réduisant une liberté fondamentale comme celle de l'enseignement ? Dans ce cas, quelle république défend-on ? Il est pour le moins paradoxal pour un Etat laïc de prétendre réformer une religion. Et de labelliser, certes indirectement mais fermement, son clergé. Le précédent de 1790, dont les conséquences existent encore actuellement, devrait faire réfléchir. Comment justifier de faire tout cela en maintenant un lien concordataire sur une partie du territoire mais pour 3 religions seulement ? Car rien dans le discours ne donne à penser que le concordat en Alsace Lorraine, qui ne concerne que 3 religions, soit remis en question. Ainsi l'Etat laïc n'assumerait pas l'égalité face aux religions ?
Avec la position hostile aux "post colonial studies" on bascule dans une position obscurantiste. Mais pas seulement. Il se trouve qu'une grande partie des musulmans français sont aussi concernés par le passé colonial de la France. Et là les propos d'E Macron et encore plus ceux du ministre de l'Education nationale (concerné d'ailleurs lui aussi personnellement) ne peuvent qu'ajouter aux blessures. La formule "repentance + + c'est intégration - -" renvoie directement à la violence de l'ordre colonial. La condamnation des études post coloniales ne fait pas qu'encourager l'ignorance.
Il y a bien un problème de terrorisme islamiste. Il y a bien un rejet de la République dans certains quartiers. Mais il y a aussi une instrumentalisation politique de cette situation. E. Macron a bien pris quelques précautions de langage dans son discours. Mais l'équilibre des propos tient au microgramme. L'inflexion qui est portée par ce "réveil républicain" et cette injonction à l'unité nationale font penser au lancement d'une campagne populiste portée par un gouvernement qui n'a plus la confiance de la population. Un traitement sérieux du problème de l'intégration nécessiterait des mesures sociales plus fortes. Seront-elles dans la loi ?
François Jarraud