Dix ans après avoir remplacé les manuels scolaires par des tablettes, la Suède, champion du tout-numérique en milieu scolaire, a fait le triste constat que l'expérience était loin de porter les fruits escomptés. Bien pire. Les scientifiques feraient état d'une baisse sérieuse du niveau des élèves : le pourcentage d'enfants suédois de dix ans rencontrant des difficultés pour la lecture serait ainsi passé de 12 à 19% en seulement cinq ans. Pragmatique, le gouvernement suédois a décidé d'opérer un retour en arrière pour la rentrée 2023, avec l'instauration d'un manuel par élève et par matière. Vieille école, mais sans doute plus efficace.
Il n'y a pas qu'en Suède, que le niveau scolaire baisse. Récemment, c'est en France que le ministre de l'Éducation nationale tirait la sonnette d'alarme en raison des mauvais résultats scolaires enregistrés en 4ème, notamment pour le français et les maths. Plus inquiétant encore, Gabriel Attal explique dans une interview au Parisien que « des professeurs des écoles en CP font régulièrement part des difficultés d’attention des élèves, ou de leur fatigue. On peut corréler cela à l’usage des écrans. Une récente étude montre qu’entre 1 et 6 ans, les élèves restent en moyenne 832 heures par an devant les écrans. C’est quasiment le temps qu’ils passent à l’école ! » Et le ministre d'appeler à un « sursaut collectif » afin d'« éviter une catastrophe sanitaire et éducative liée à la place des écrans, notamment dans les premiers âges de la vie. » Une préconisation saine, qu'une légion d'études pourraient appuyer.
S'il ne s'agit pas d'un volte-face complet, comme celui que l'on peut observer en Suède, ce discret rétropédalage français pourrait être, sait-on jamais, de bon augure. À l'aune de cet exemple étranger, peut-être notre ministre aura-t-il l'idée de regarder la facture salée que représentent les infrastructures numériques au sein des établissements scolaires... et de comparer cette dernière aux résultats réels qui en découlent pour le niveau scolaire français ? Aux dernières nouvelles, le résultat est piteux. La France occupe ainsi la 16ème place de l’Union européenne en « compréhension de l’écrit ». Nous voilà encore loin du podium...
Si les résultats sont mitigés, les investissements, eux, ne le sont pas. En 2015, un plan numérique était lancé par François Hollande, prévoyant le déploiement d'un milliard d'euros sur trois ans pour former les professeurs, développer des ressources pédagogiques accessibles, et financer des ordinateurs et des tablettes pour les écoles. Quatre ans et 275 millions d'euros plus tard, la Cour des Comptes étrillait le plan tablettes de François Hollande, le qualifiant de « concept sans stratégie au déploiement inachevé ». Dans ce même rapport, la Cour des Comptes rapporte que, entre 2013 et 2017, les investissements pour le numérique éducatif s'élèvent à 2 milliards d'euros de la part des trois niveaux de collectivités, à 300 millions de la part de l'État, qui s'était pourtant engagé à déployer 1 milliard d'euros pour ce plan. Devant cette persistante fracture numérique, la Cour « recommande de doter écoles, collèges et lycées d’un socle numérique de base ». Aussitôt dit, aussitôt fait : un appel à projet est lancé en 2019 pour les écoles élémentaires. Les établissements peuvent y participer, afin de profiter d'une aide de l'État couvrant entre 50 et 70% des dépenses. C'est le cas de la ville de Thaon (Calvados), qui a pu bénéficier d'une aide de 70% de la part de l'État, pour « l’achat de 12 tablettes au prix de 4 402,84 € HT ». En 2021, des territoires numériques éducatifs (TNE) sont mis en place : deux départements pionniers sont choisis, l’Aisne et le Val-d’Oise, 10 autres ajoutés afin d'y doter les écoles des équipements numériques bases. Le tout pour la modique somme de 27,3 millions d'euros.
Les exemples pourraient se multiplier indéfiniment : la volonté du gouvernement et des communes pour doter les écoles d'équipements numériques est bien là. Tout l'argent déboursé - aux frais d'on sait qui -, en est la preuve. La question qui demeure est la suivante : un investissement d'une telle ampleur vaut-il le coup ? Les scientifiques, et surtout les parents, auraient sans doute une idée bien précise sur la question. Une idée peut-être plus économique que celles, toujours plus coûteuses, lancées par le gouvernement ces dernières années. Peut-être observerait-on, concomitamment, une hausse du niveau scolaire ? Au point où l'on est, l'expérience vaut sûrement le coup d'être tentée.
Marie-Camille Le Conte