Avec mes latinistes, nous avons participé à la Semaine des langues, un événement national devant célébrer les langues européennes et mettre à l'honneur celles étudiées dans les établissements scolaires. Comme nous n'enseignons que trois langues vivantes et qu'il restait un jour libre dans la semaine, j'ai proposé une « Journée latin ». Mes élèves s'étaient raisonnablement investis et avaient préparé des activités pour leurs camarades. Ils sont les 23 Mohicans du collège, répartis de la 5e à la 3e, et devaient prendre en charge une centaine d'élèves de 6e et une centaine d'élèves de 5e. Je dois avouer qu'ils m'ont stupéfaite et qu'ils ont été remarquables.
Ils avaient conçu des ateliers, qu'ils ont menés en autonomie, tout au long de la journée. Nous avions un atelier « jeux du cirque », dans lequel on pouvait expérimenter un combat de gladiateurs et une course de chars - les élèves étant les chevaux du quadrige -, un atelier « thermes et activités sportives » avec des jeux de balle, un atelier « cuisine romaine et repas » où on apprenait tout sur l'alimentation des Romains et où l'on pouvait élaborer un dessert typique, des dattes farcies aux pignons et au miel, un quizz sur la mythologie et la culture, un comptoir sur les jeux des enfants romains - osselets et jeux de plateau -, un autre sur l'origine des prénoms et un dernier sur l'armée romaine, pour lequel on avait fabriqué de grands boucliers en carton qui ont permis aux élèves de s'entraîner à marcher au pas en formation tortue et en formation d'attaque.
Les latinistes ont beaucoup appris : ils ont dû faire des recherches sur le thème qu'ils devaient traiter, élaborer un support visuel, créer leur activité pratique, trouver ou créer le matériel, faire une répétition pour voir si cela fonctionnait.
Et hier, ils ont été jetés dans l'arène. Plusieurs ateliers avaient lieu en extérieur, dans la cour, et il fallait, à chaque récréation, tout ranger puis tout ressortir et tout réinstaller dix minutes après. Je n'ai pas eu à intervenir une seule fois dans la journée pour recadrer qui que ce soit : chacun d'eux a fait ce qu'il devait faire, quand il devait le faire. Pourtant, une bonne part d'entre eux est tout sauf exemplaire, en cours : le travail n'est pas souvent fait, les leçons ne sont pas apprises et les bavardages en classe sont nombreux. Mais là, ils étaient « en responsabilité ». Ils n'avaient pas pris la mesure de la chose avant que cela ne commence, mais ils ont vite perçu les enjeux. Et ils ont assumé, car on leur a fait confiance. C'est une petite inclusion de la pédagogie de Don Bosco dans une enceinte publique… Un grand garçon de 3e, d'ordinaire très dilettante et facilement provocateur, a spontanément proposé de balayer la petite cour, pleine de feuilles, dans laquelle je devais installer l'atelier « dattes » ; il est allé chercher seul un balai et une pelle et a tout nettoyé. Il en a pris l'initiative alors que je n'avais pas eu le temps de vérifier l'état du lieu. On a aussi remarqué, pendant la journée, son charisme personnel et son sérieux : il savait gérer les groupes de 12 à 15 élèves qui lui étaient confiés de manière très fluide et très naturelle, alors qu'il cumule par ailleurs un assez grand nombre d'observations disciplinaires et d'heures de colle.
En fin de journée, après avoir tout rangé, nous avons fait un point sur cette expérience. J'ai trouvé délicieux d'entendre les élèves les plus bavards d'ordinaire dire : « Mais c'est insupportable, quand ils parlent en même temps que nous, n'écoutent pas et qu'on doit répéter cinq fois les consignes ! »… Ils étaient totalement épuisés et se sont rendu compte de ce que signifiait « travailler ». Beaucoup en ont tiré des conclusions d'une grande maturité. Nous gagnerions à confier davantage de responsabilités aux élèves, même très jeunes, au lieu de les infantiliser et de les maintenir dans une posture passive. La responsabilité n'est pas la même chose que l'activité. C'était l'idée de Célestin Freinet, au milieu d'autres choses contestables, et l'on pourrait y réfléchir.
Virginie Fontcalel