Essayiste, animateur de radio et de télévision, Raphaël Enthoven est bien connu pour ses écrits, ses interventions, ses positions et sur tous ces points, c’est une personnalité passionnante, parfois même attachante. En clair, il est à l’heure actuelle l’un des plus grands philosophes français de ces dernières années et c’est souvent un plaisir de lire ses œuvres qui nous entraînent vers la réflexion la plus profonde.
A titre personnel, je suis attaché à certaines de ses prises de position que je partage pour la plupart : la dénonciation des abstentionnistes qu’il critique très violemment ; ses attaques à l’homophobie ; son dénigrement à l’encontre de la militante écologiste Greta Thunberg qu’il qualifie clairement de « cancre mondiale, idole des bons sentiments » , de « tête creuse », « une arnaque, « une image, une enveloppe vide mandatée pour dire le bien ». Je soulignerai également sa prise de position lors du mouvement social contre la réforme des retraites en France de 2019 ; il dénonce alors la CGT : « Grâce à la grève, on assiste à la dégradation définitive dans l’opinion publique d’un syndicat totalitaire qui suspend la liberté d’un pays entier (comme la liberté de la presse) à la seule acceptation de ses demandes. Et qui appelle çà « dialogue ».
Par contre, je ne partage pas du tout la position de Raphaël Enthoven sur Didier Raoult quand il critique la démarche de ce dernier dans le traitement du Covid-19 à l’hydroxychloroquine. En clair, le professeur Raoult est un éminent infectiologue qui a fait ses preuves dans les temps passés et qui s’est révélé particulièrement efficace lors de l’épidémie du coronavirus au cours de la période du confinement général.
Mais venons-en à l’ouvrage de Raphaël Enthoven, « Le Temps gagné », paru aux éditions de l’Observatoire le 19 août dernier. On connaît les excentricités littéraires du philosophe qui, du reste, a toujours révélé une écriture originale et talentueuse..
Dès les premières pages, on ressent rapidement un livre rempli de mystères que l’on va découvrir au fil de sa lecture. Et il ne faut pas longtemps pour être en face de confessions explosives que l’on retrouve rarement dans un roman partiellement autobiographique, bien que l’on connaisse certains auteurs qui se sont mis à nu, pas toujours avec bonheur et grande dignité. Et si les nombreuses révélations de Raphaël Enthoven sont très osées, elles sont écrites avec un tel esprit critique et intelligent, que l’art du philosophe se révèle époustouflant, quasiment unique dans la littérature d’aujourd’hui.
En fait, le livre décrit un véritable règlement de comptes familial à couper le souffle. C’est une autofiction psychanalytique où Enthoven massacre tour à tour son beau-père, sa mère, son père et son ex-femme. L’ouvrage est véritable volcan qui entre en ébullition. C’est une explosion permanente et ça cogne de partout. Par contre, Enthoven est honnête car il ne s’épargne pas lui-même.
Dans ce roman qui apparaît au premier abord comme une fiction, mais qui en fait ,est une réalité familiale (ou presque), l’écrivain navigue dans le récit autobiographique en invitant des figures connues du public : “Elie” (BHL) père de Justine – Faustine dans le livre – et fille de son meilleur ami, Jean-Paul Enthoven. père de Raphaël, tous deux éditeurs aux Éditions Grasset.
Faustine y est dépeinte avec un « sourire de cheval » et dans des postures plus qu’intimes. Il n’y a guère que Béatrice Luca – Carla Bruni en tenniswoman à la retraite – croquée comme une apparition qui laisse entrevoir le bonheur, enfin, dans la vie de cet homme qui en a manqué jusque-là !
Au final, c’est toute cette partie du livre dont on parle aujourd’hui sur les plateaux de télévision ou sur les sites de radio, qui satisfait la curiosité des lecteurs : ces derniers cherchent reconnaître les vrais noms et les vrais visages, sous les pseudos utilisés par l’auteur et c’est là que le suspense commence et continue. De quoi faire vendre le livre à des milliers d’exemplaires … peut-être !
Alors, à travers ce livre bien médiatisé par ailleurs, que recherche le philosophe Enthoven ? Une nouvelle notoriété qui lui échappe parfois ? Un récit scandaleux qui fera tâche dans son entourage ? Une « vengeance » familiale ? Une libération de son esprit face à ses situations passées et douloureuses ? Un jeu de cache-cache avec la vérité à travers une auto-fiction ?
Le livre est bien écrit. La plume est sublime. Et on ne lasse pas de lire et de relire certains passages étourdissants. Étourdissants ? Pire. Affolants.
Certains diront que c’est puant. Et je partagerai volontiers cette analyse. Mais rien n’est grossier, ni vulgaire. C’est là que l’on ressent fortement tout le talent et la classe du philosophe.
Pour ma part, j’ai aimé le livre. Même s’il m’agace par moment car Enthoven en fait trop. Oui, trop. Et c’est le risque pour de philosophe de renom de paraître sublime ou clairement pervers.
Chacun jugera et appréciera à sa manière.
Pierre Reynaud