Dans un ouvrage important, Olivier Bétourné retrace les tenants et les aboutissants d’un procès et relance le débat sur la place qu’il tient dans le changement de régime.
Trente-cinq ans après le remarquable Penser l’histoire de la Révolution. Deux siècles de passion française, où Olivier Bétourné démontait, avec Aglaia I. Hartig, les arguments furétiens tout en rendant à la gauche l’œuvre de Quinet, ce n’est pas sans émotion que le lecteur ouvre ce dossier sur la mort du roi.
L’auteur n’a rien perdu de sa finesse interprétative ni de sa rigueur scientifique, en étudiant le procès que la Convention intenta à l’ex-roi Louis XVI, entre la fin du mois de décembre 1792, jusqu’à son exécution, le 21 janvier 1793. Olivier Bétourné analyse le drame qui se joue entre les représentants de la nation républicaine, qui leur confère tout pouvoir, et l’ancien délégué au pouvoir absolu de Dieu sur terre. Le procès, le jugement et l’exécution constituent les trois parties de ce livre qui se lit avec grand intérêt, alternant les longues citations et les explications éclairantes.
Le point de vue de Louis XVI
De façon originale est saisi le point de vue de Louis XVI, dont la représentation du monde en fait un quasi-étranger dans cette France qui vient de renaître sous la forme d’une république en septembre 1792. Entouré de ses avocats, Tronchet, Malesherbes et surtout le comte de Sèze, l’homme se détache, et le roi qu’il est resté au fond de lui se prépare spirituellement au martyre.
En face de lui, les conventionnels sont divisés sur le jugement à appliquer à celui que tous reconnaissent traître et parjure. Inéluctabilité de la mort ? Peut-être… Immanquablement, diront ceux qui écrivent l’histoire une fois qu’elle est terminée mais, au vu de toutes les hésitations, confrontations et oppositions clivantes des députés, subtilement présentées, rien n’est moins sûr.
Ne refaisons pas l’histoire. Plongeons dedans grâce à une question posée à l’époque et qui sert de second fil directeur à cet ouvrage : à quoi servait la mort du roi pour la république ? L’auteur pose cet axiome que la fondation du nouveau régime va de pair avec la mort du roi. Beaucoup l’ont dit, mais ce n’est pas la seule raison, ni toute la vérité. La guerre à outrance, la question sociale, la politisation nouvelle l’expliquent aussi. Fonder la république n’est pas une fin en soi, il faut construire les républicains et républicaines.
Tuer le roi et la monarchie ensemble
La conclusion, qu’il aurait presque fallu placer en introduction pour avoir d’emblée tous les éléments du débat, permet de saisir toute la démonstration du livre. Pourquoi l’Angleterre n’a pas été une république après l’exécution de Charles Ier en 1649 et comment la France est devenue une république après l’exécution de Louis XVI ?
Pour l’essayiste, la force de la conception au-delà de la Manche d’un roi possédant son corps naturel et incarnant le corps politique de son peuple permettait de tuer le roi sans abolir la monarchie, ce qui s’avérait impossible en France, où les deux corps du roi, moins bien séparés, permettaient de tuer le roi et la monarchie ensemble. Rien n’est moins certain. Et le XIXe siècle le prouve : la république a gouverné vingt-huit ans, l’empire trente-deux ans, la monarchie trente-quatre ans, sans compter les quatre ans de gouvernement provisoire entre 1871 et 1875.
La force de la contre-révolution, grâce au concept de légitimité et de continuité dynastique, furent des réalités ancrées en France, et ce bien au-delà de l’erreur du comte de Chambord après 1870. Ce qui fut accepté en Angleterre intelligemment, après 1689, non en 1649, et la théorisation de Locke, un roi sans pouvoir, ne fut pas accepté en France.
Louis XVI a refusé cette solution et a choisi la guerre avec son peuple et ses députés, jusqu’à instiller le poison de la monarchie républicaine encore agissant aujourd’hui. Jusque dans son testament, l’ex-roi ne voulut pas abandonner son « autorité ». Le débat est relancé : on ne peut qu’en rendre hommage à Olivier Bétourné.
La Mort du roi, d’Olivier Bétourné, Seuil, 320 pages, 23 euros