Les Payan et les Jullien, deux familles dans la Révolution

Les Payan et les Jullien, deux familles dans la Révolution : épisode 3/4 du  podcast Portraits de familles | Radio France | France Culture

Les Payan et les Jullien sont deux familles drômoises prises dans la tourmente de la Révolution française. Comment un événement politique d’une telle magnitude traverse-t-il une famille ? À quelles dissensions, divisions, solidarités et entraides donne-t-il lieu ?

Avec

Annie Duprat, historienne, professeure émérite d'histoire moderne à l'Université de Cergy-Pontoise

Nicolas Soulas, docteur en histoire moderne, chercheur associé au LARHRA et chargé de cours dans les Universités de Nîmes et d'Avignon

Ce sont des affaires de famille et de Révolution. Marc-Antoine, Rosalie, Claude-François et Joseph-François, des hommes et des femmes des Lumières pris dans le souffle de la Révolution à travers les générations. Père, fils, épouse, frère, parents, alliés… Pour les Jullien et les Payan, l'histoire de la Révolution s'écrit en famille, de la Drôme à Paris.

Les Jullien, une famille des Lumières

Marc-Antoine et Rosalie Jullien se rencontrent et se marient probablement clandestinement, car Marc-Antoine a déjà été marié une première fois à Louise Métayer, qui meurt peu de temps après avoir donné le jour à une petite fille, elle-même morte le jour de sa naissance. En 1775, alors qu’ils ne sont pas encore mariés, Rosalie et Marc-Antoine ont un premier enfant, Marc-Antoine Jullien, dit "de Paris" pour le différencier de son père, surnommé "de la Drôme". Après leur mariage, Marc-Antoine et Rosalie ont deux enfants, Bernard, né en 1777 et mort en bas âge de la variole, et Auguste, né en 1779. La famille Jullien jouit d’une vie quotidienne paisible et harmonieuse, bientôt bouleversée par la Révolution. L'historienne Annie Duprat, qui a étudié les écrits de Rosalie Jullien, décrit l'origine sociale du couple : "Rosalie est née à Pontoise et est originaire de la région parisienne. Marc-Antoine est né à Bourg-de-Péage et est du Dauphiné. Elle est née d'une famille bourgeoise, très installée, de fabricants d'objets de luxe. [...] Lui est fils de médecin. C'est aussi une bonne bourgeoisie, mais pas du tout aristocrate." Le couple baigne dans les idées des Lumières : "Ils vont à Valence, ils participent à des clubs, ils s'expriment beaucoup."

Le couple des Jullien semble unanime dans sa perception du séisme révolutionnaire. Tous deux partagent les valeurs politiques et morales de patriotisme, de liberté, de service de l’intérêt général, et les transmettent à leurs enfants. Député de la Drôme à l'Assemblée législative puis à la Convention en 1792, où il siège jusqu’en octobre 1795, Marc-Antoine Jullien père participe de près aux affaires publiques. Rosalie Jullien est seule à Paris avec son plus jeune fils, loin de son mari. Elle est très impliquée dans la vie politique : Rosalie Jullien assiste aux séances de l’Assemblée, se renseigne sur ce qui se passe dans les clubs, lit assidûment les journaux et reçoit des hommes politiques à dîner. L’étude de sa correspondance montre qu’elle rapporte à son mari toutes les informations qu’elle peut glaner et qu’elle se fait analyste de la situation politique. Quant à leur fils, Marc-Antoine Jullien "de Paris", il prend bientôt fait et cause pour Robespierre. Sa fougue dépasse de loin l’engagement politique de ses parents et inquiète parfois sa mère. Quand vient le 9 Thermidor, Marc-Antoine Jullien fils échappe à la guillotine, mais est emprisonné pendant quinze mois.

Les fluctuations de la famille Payan

Les Jullien sont amis avec les Payan, une famille protestante convertie après la révocation de l’édit de Nantes, également originaire de la Drôme. Les Payan sont eux aussi appelés à jouer un rôle politique important dans ces années révolutionnaires. Ce sont sans doute les Jullien qui introduisent les Payan dans les milieux politiques parisiens. Claude-François Payan aurait été présenté à Robespierre, dont il devient ensuite un proche collaborateur, par Marc-Antoine Jullien lors de la fête de la Fédération du 10 août 1793. Joseph-François Payan, frère de Claude-François, est également robespierriste. Les frères Payan et Marc-Antoine Jullien fils sont amenés à travailler ensemble et sont rapprochés par leurs accointances politiques. Claude-François Payan et Marc-Antoine Jullien fils dirigent de conserve le journal L'Antifédéraliste.

L'historien Nicolas Soulas retrace la trajectoire de la famille Payan dans Familles et individus à l’épreuve. Les Payan de la révocation de l'édit de Nantes à l'âge des révolutions (Presses universitaires de Rennes, 2025) : "Il ne faut pas donner l'impression que la Révolution est linéaire. Les individus ne sont pas opportunistes. Rien n'indique avant l'été 1792 que les Payan sont républicains. D'ailleurs, au début du mois de juillet 1792, Claude-François Payan demande qu'on nomme un régent. Lorsque les Marseillais veulent imposer la république, Joseph-François Payan s'y oppose. Puis, au début de l'automne, ils sont plutôt girondins et appellent à défendre Brissot, alors qu'à partir de décembre, avec le procès du roi, ils suivent Marc-Antoine Jullien et deviennent montagnards. [...] Au printemps 1993, rien n'indique que ces individus vont devenir robespierristes." Pour l'historien, ce travail de micro-analyse permet d'apporter de la nuance sur le positionnement des individus qu'il étudie : "[Leur positionnement] est fluctuant. Au-delà de l'opportunisme, il y a des rencontres et le fait que les gens puissent simplement évoluer."

Une famille en quête d'ascension sociale

Depuis leur fief de Saint-Paul-Trois-Châteaux, les Payan sont des notables d’Ancien Régime. Le père, François Payan, est un officier moyen qui tente d’accéder à des charges nobiliaires. Il est sur le point d’y parvenir quand éclate la Révolution. François Payan s’est marié à Marthe Isoard avec laquelle il a eu cinq enfants. Les plus connus sont Claude-François et Joseph-François, mais Esprit-François et Charles-Joseph, le jumeau de Joseph-François, jouent également un rôle dans le nouvel ordre mis en place après 1789. Lorsque la Révolution éclate, les Payan, qui avaient imaginé une stratégie d’ascension sociale dans la société d’Ancien Régime, ne sont pas immédiatement révolutionnaires, mais comprennent vite le parti qu’ils peuvent tirer de la nouvelle conjoncture politique. Esprit-François fait carrière dans l’armée et prend la fuite après la chute de Robespierre. Charles-Joseph Payan, destiné à la vie religieuse, prête serment à la Constitution civile du clergé.

La fin de la Terreur balaye bientôt les ambitions politiques des Payan. Claude-François, l’homme de confiance de Robespierre, meurt avec lui sur l'échafaud le 28 juillet 1794. Joseph-François, qui a exercé des responsabilités politiques locales, prend la fuite après la chute de Robespierre. Jeanne-Françoise, la seule sœur de la fratrie, a épousé Paul d’Audiffret, qui prend le parti de la contre-Révolution. Si la rupture politique est consommée, des solidarités familiales continuent de jouer en sous-main. Entre engagement commun, dissensions politiques et morts brutales, la famille Payan ne sort pas indemne de la période révolutionnaire.

Pour en savoir plus

Annie Duprat est historienne, professeur émérite des universités. Elle est spécialiste des représentations et de l'iconographie politique, et notamment de la caricature.

Ses publications :

"Les affaires d’État sont mes affaires de cœur". Rosalie Jullien, une femme dans la Révolution. Lettres, 1773-1810, Belin, 2016

Marie-Antoinette, 1755-1793 : Images et visages d’une reine, Autrement, 2013

Révolutions et mythes identitaires. Mots, violence, mémoire, Nouveau Monde éditions, 2009

Marie-Antoinette. Une reine brisée, Perrin, 2006

Les Rois de papier. La Caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002

Histoire de France par la caricature, Larousse, 1999

Le Roi décapité, essai sur les imaginaires politiques, Le Cerf, 1992

Nicolas Soulas est docteur en histoire moderne, chercheur associé au LARHRA et chargé de cours dans les Universités de Nîmes et d'Avignon.

Ses publications :

Familles et individus à l’épreuve. Les Payan de la révocation de l'édit de Nantes à l'âge des révolutions, Presses universitaires de Rennes, 2025

Révolutionner les cultures politiques : l’exemple de la vallée du Rhône (1750-1820), Éditions universitaires d’Avignon, 2020

Référence citée dans l'émission : L’Amitié en révolution 1789-1799. De l'histoire à la mémoire, sous la direction de Philippe Bourdin et Côme Simien, Presses universitaires de Rennes, 2024

Date de dernière mise à jour : 24/04/2025

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