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Plus de 350 obus, 256 morts… Il y a un siècle, ces énormes canons allemands faisaient trembler Paris

Alors que la France commémorera ce 11 novembre l’Armistice de la Première Guerre mondiale, le souvenir de « la Grosse Bertha » perdure dans la mémoire collective. En 1918, de redoutables canons allemands (qui ne portaient en réalité pas ce nom) réussirent à atteindre Paris, à plus d’une centaine de kilomètres de distance. L’édition du soir reconstitue ce sombre épisode de « la Der des Ders », cartes à l’appui.

Ce 23 mars 1918, les Parisiens sont stupéfaits. À 7 h 20, dans un vacarme assourdissant, un obus s’écrase au cœur de Paris, dans le 19ᵉ arrondissement. Il frappe le quai de la Seine, au pied d’un immeuble, sans faire de victime. Son origine : un mystérieux canon situé dans une zone occupée par l’ennemi, à 120 km de distance. L’obus, précise le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), a été tiré depuis les bois de Crépy-en-Laonnois, dans l’Aisne, puis il s’est élevé à une altitude d’environ 40 kilomètres, et a atteint sa cible quatre minutes plus tard. Une prouesse technologique et militaire pour l’époque. Du jamais vu.

Tout au long de cette funeste journée, un déluge de feu s’abat sur la capitale et sa banlieue. Une vingtaine d’obus touchent différents arrondissements, Aubervilliers, Bobigny… Les victimes s’accumulent. Huit morts devant la gare de l’Est, deux sur la place de la République, deux à Pantin, un autre dans rue Liancourt… Seize, au total.

Un canon de près de 36 mètres de long

Un début de psychose s’installe. Quatre ans après le début de la Première Guerre mondiale, jamais les Allemands n’avaient réussi à atteindre la capitale avec un canon de longue portée. Paris n’a certes pas été épargné par les bombes depuis 1914, mais jusqu’ici, elles étaient larguées - de manière très approximative et souvent sans gravité - par des avions et des ballons dirigeables.

À l’époque, les Français connaissent bien l’existence de la Grosse Bertha, cette pièce d’artillerie allemande utilisée avec plus ou moins de succès sur le front depuis 1914, avec son canon de 10 mètres et ses obus de 420 mm. C’est donc tout naturellement qu’ils lui attribuent ces bombardements. Mais il s’agit en réalité du Pariser Kanonen, un engin bien plus imposant, doté d’un canon de près de 36 mètres de long ! De quoi tirer des projectiles à 130 km de distance.

Des artilleurs allemands se préparant à tirer avec la « Grosse Bertha » pendant la Première Guerre mondiale. Le canon, de dix mètres de long, tire des projectiles quasiment à la verticale. (Photo : Mary Evans / SIPA)

 

Doté d’un canon de près de 36 mètres de long, le Pariser Kanonen est bien plus puissant que la « Grosse Bertha ». (Photo : Bridgeman Images)

Viser la France au cœur

Sept unités ont été fabriquées par la firme allemande Krupp. « Elles sont acheminées en pièces détachées par le chemin de fer, puis sont assemblées sur place. Des socles en béton doivent être créés pour les soutenir », explique Christophe Dutrône, auteur de l’ouvrage Feu sur Paris ! L’histoire vraie de la Grosse Bertha (éditions Pierre de Taillac).

Ces monstres d’acier, qui pèsent quelque 750 tonnes chacun, ont été conçus dans un but très précis : viser la France au cœur, à savoir Paris. Et en ce printemps 1918, ils commencent à remplir leur mission. « Ces bombardements vont de pair avec les grandes offensives de l’armée allemande dans l’Aisne, dans le but d’obtenir une reddition de la France. Ils ont plus un objectif psychologique que destructif », poursuit l’historien, spécialiste des questions militaires.

Le quai de Gesvres endommagé par un obus à Paris, le 30 mars 1918. (Photo : Godefroy Ménanteau / musée Carnavalet, Paris)

Une maison détruite après un bombardement dans le quartier Saint-Paul (4e arrondissement) le 12 avril 1918. (Photo : Godefroy Ménanteau / musée Carnavalet, Paris)

Les Parisiens prennent l’habitude de ne plus dormir dans les derniers étages, plus particulièrement exposés aux bombardements. Ici, un immeuble éventré dans la rue Jacob, le 24 mai 1918. (Photo : Godefroy Ménanteau, musée Carnavalet, Paris)

« Ça n’empêche pas les Parisiens de vivre »

Le tir le plus dramatique est celui qui touche l’église Saint-Gervais le 29 mars 1918. C’est l’office du Vendredi saint. Alors que l’édifice est rempli de fidèles, un obus atterrit sur la nef. La voûte s’écrase sur la foule. Bilan : 92 morts et 68 blessés. Ce sera le bombardement le plus meurtrier de la guerre dans la capitale.

Lors d’un bombardement, la voûte de l’église Saint-Gervais s’écroule sur les fidèles en pleine messe le 29 mars 1918. Le bilan est terrible : 92 morts. (Photo : Godefroy Ménanteau / musée Carnavalet, Pari

À part cet événement qui marque les esprits, ainsi que quelques tirs qui font huit, neuf ou douze morts simultanément, « il n’y a pas de psychose », assure l’auteur. « La grande majorité des habitants, modestes, reste vivre sur place. Seuls certains membres des classes les plus aisées quittent la capitale. On prend l’habitude de ne pas dormir au dernier étage des immeubles, on évite d’occuper les façades du nord-est, orientées du côté des canons. Mais ça n’empêche pas les Parisiens de vivre. »

 

Les super canons se taisent subitement

Le harcèlement allemand se prolonge jusqu’au 9 août, date du dernier bombardement de ce type (un ultime raid aérien aura lieu à la mi-septembre). Puis les super canons se taisent subitement. Face à la progression des alliés, le front s’éloigne. Les Pariser Kanonen, qui ont été déplacés à plusieurs reprises, jusqu’à atteindre Château-Thierry, au plus proche de Paris (environ 90 km), sont désormais hors de portée. « Ils sont finalement rapatriés en Allemagne et fondus, tandis que les archives sont détruites, pour empêcher l’ennemi de récupérer cette technologie », poursuit Christophe Dutrône.

Au fil des décennies suivantes, les canons longue portée deviendront obsolètes, remplacés par les progrès de l’aviation, puis par l’émergence des missiles comme les redoutables V1 et V2, développés par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Des missiles qui, Occupation oblige, épargneront la capitale française pour se concentrer sur Londres.

Cent six ans après ce sombre épisode, alors que l’on célèbre l’Armistice de la Première Guerre mondiale ce 11 novembre 2024, les stigmates des Pariser Kanonen ont été effacés depuis longtemps à Paris et dans sa banlieue. Un panneau a été apposé au 6, quai de la Seine pour ne pas oublier le tout premier bombardement de cette triste série.

Sylvain Delage

Date de dernière mise à jour : 11/11/2024

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