Née le 15 août 1942, à Rennes, la poétesse Annie Le Brun est morte, avons-nous appris ce jeudi 1er août. Avec elle s'éteint toute une histoire du surréalisme, mouvement artistique majeur du XXe siècle.
C’était l'un des esprits les plus brillants de ces dernières décennies. Poétesse, critique littéraire et essayiste, Annie Le Brun est morte, comme on l'a appris ce 1er août, alors qu'elle allait fêter ses 82 ans dans deux semaines.
Sensible et révoltée, elle épouse la cause surréaliste, après sa rencontre en 1963 avec André Breton. Un mouvement artistique et poétique qu'elle nous a décrit il y a quelques semaines, à l’occasion de la réédition de Qui vive (Flammarion), comme « l’affirmation d’une conscience poétique du monde », en faisant de « l’évaluation sensible le seul critère intellectuel et moral. » Mais si elle rejoint le surréalisme, c'est parce qu'elle partage l'intuition fondamentale d'André Breton : « Transformer le monde, a dit Marx ; changer la vie, a dit Rimbaud : ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un. »
Connue pour ses poèmes, ainsi que pour ses ouvrages sur la littérature, sur Sade, Victor Hugo, Alfred Jarry ou encore Arthur Cravan, Annie Le Brun se révèle être une des critiques du capitalisme les plus intéressantes et radicales de ces dernières décennies. Sous sa plume, esthétique et critique sociale marchent main dans la main. C’est la première qui la mène à la seconde. Le constat d’un Beau en danger, l'oblige à s’intéresser à l’organisation sociale.
« De même que le régime soviétique visait à façonner les sensibilités à travers l’art réaliste socialiste, il semble que le néolibéralisme en ait trouvé l’équivalent dans un certain art contemporain employant toute son énergie à instaurer le règne de ce que j’appellerais le "réalisme globaliste" », écrit-elle en 2018, dans un de ses derniers grands ouvrages, Ce qui n’a pas de prix. Beauté, laideur et politique (Stock).
La liberté en danger
Si sa sensibilité la pousse dans les bras du surréalisme, sa raison et sa soif de révolte la rapprochent du mouvement situationniste de Guy Debord. Bien qu’elle critique le dogmatisme de ce dernier, ainsi que sa négation du « domaine sensible », elle partage son constat d’une société dominée par la marchandise, productrice d’images dans lesquelles nous nous retrouvons enfermés. Le mouvement anti-industriel, Theodore Kaczynski, René Riesel et Jaime Semprun en tête, fait également partie de ses références intellectuelles. Mais Annie Le Brun était d’abord un esprit libre et original, capable de penser par elle-même, hors des catégories imposées.
Lucide, elle s’inquiète, dans Du trop de réalité (Gallimard, 2004), d’une société dominée par les supermarchés et la malbouffe, la pensée postmoderne comme le néo-scientisme, la disneylandisation, la raréfaction de l’air pur, la baisse du niveau littéraire ou plutôt l’émergence d’une « pseudo-littérature » et d’une « pseudo-poésie », l’invasion d’une novlangue technocratique, l’affirmation identitaire (qu’elle émane de la majorité comme des minorités), l’information en temps réel, etc. Un mouvement, qui s’est accéléré, selon elle, ces dernières années, à cause du développement technique, dont l’avènement d'internet. « Pour la première fois, le capital ne se contente plus d’extraire et d’exploiter les richesses du monde mais atteint notre vie intérieure », nous a-t-elle expliqué.
D'après elle, « l’image, qui jusqu’alors était une porte ouverte sur l’altérité, est devenue l’agent privilégié du capital. Semblant accroître nos possibilités de communication, Internet nous enferme, en réalité, dans une prison d’images, sans que nous soyons même conscients d’y être autant contrôlés que manipulés. » Car ce qu’elle chérit au-dessus de tout, plus que le Beau, c’est la liberté, véritable moteur de sa révolte. Or, Annie Le Brun estime qu'elle a disparu à cause d’un nouveau totalitarisme, qui ne dit pas son nom.
Lucide, elle s’inquiète, dans Du trop de réalité (Gallimard, 2004), d’une société dominée par les supermarchés et la malbouffe, la pensée postmoderne comme le néo-scientisme, la disneylandisation, la raréfaction de l’air pur, la baisse du niveau littéraire ou plutôt l’émergence d’une « pseudo-littérature » et d’une « pseudo-poésie », l’invasion d’une novlangue technocratique, l’affirmation identitaire (qu’elle émane de la majorité comme des minorités), l’information en temps réel, etc. Un mouvement, qui s’est accéléré, selon elle, ces dernières années, à cause du développement technique, dont l’avènement d'internet. « Pour la première fois, le capital ne se contente plus d’extraire et d’exploiter les richesses du monde mais atteint notre vie intérieure », nous a-t-elle expliqué.
D'après elle, « l’image, qui jusqu’alors était une porte ouverte sur l’altérité, est devenue l’agent privilégié du capital. Semblant accroître nos possibilités de communication, Internet nous enferme, en réalité, dans une prison d’images, sans que nous soyons même conscients d’y être autant contrôlés que manipulés. » Car ce qu’elle chérit au-dessus de tout, plus que le Beau, c’est la liberté, véritable moteur de sa révolte. Or, Annie Le Brun estime qu'elle a disparu à cause d’un nouveau totalitarisme, qui ne dit pas son nom.
Kévin Boucaud-Victoire