Pour cette nouvelle étape de notre série d’été sur la route des trésors prétendument enfouis en France, direction la Meuse et la place forte de Montmédy. La rumeur dit que le trésor de Marie-Antoinette serait enterré dans ses souterrains… ou son puits.
Solidement campées à 291 mètres d’altitude, les deux tours carrées de son église dominent logiquement le paysage. Pour s’en approcher, il faut quitter la ville basse, 105 mètres de dénivelé en contrebas, passer par deux étroits ponts-levis, puis s’engager dans un effilé et sombre tunnel, dans lequel les voitures ne circulent qu’en alternance. L’enceinte de la place forte de Montmédy se dévoile alors. Nimbée de mystères. Face à l’église Saint-Martin, deux bâtiments n’ont plus que leurs façades pour témoin de leur existence.
Dans la poignée de rues alentour, nombre de demeures gardent leurs volets fermés, certaines affichent d’antiques panneaux en vente. En grimpant sur le chemin de ronde des remparts, ce sentiment de mystère se renforce : ici, les herbes folles laissent apparaître de nombreuses entrées de souterrains aux pierres en grès qui s’enfoncent sous la terre. Un décor qui sied finalement parfaitement à ce qui nous a attirés dans cette petite ville de la Meuse (2 200 habitants, la plupart vivent dans la ville basse) : le trésor de Louis XVI et Marie-Antoinette y serait enterré !
Une fuite qui n’atteint jamais Montmédy
Cette affaire trouve ses origines en 1791. Dans la nuit du 20 au 21 juin, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs proches immédiats décident de quitter le palais des Tuileries, où ils sont assignés à résidence, pour rejoindre Montmédy, à la frontière avec le duché du Luxembourg. D’un côté ou l’autre de la frontière (le sujet fait débat), le roi aurait ensuite pu prendre la tête de troupes qui lui étaient favorables pour essayer de renverser la situation dans la France révolutionnaire. À Montmédy, il a le soutien du marquis de Bouillé, à la tête d’une armée de 15 000 hommes dans tout le secteur, chargée de protéger le pays des attaques extérieures. Mais si cette escapade prend le nom de « fuite à Varennes », c’est qu’elle s’arrête dans cette cité d’Argonne à une cinquantaine de kilomètres de Montmédy, où le roi est reconnu et arrêté, le 21 juin.
Si le couple royal n’est jamais arrivé, la rumeur dit qu’autre chose aurait pu parvenir jusqu’à la place forte bâtie en 1540 et réaménagée ensuite par Vauban. La reine Marie-Antoinette avait déjà fait envoyer des robes et une partie de son trésor à Bruxelles. L’adage raconte qu’une autre partie du trésor aurait voyagé en amont ou en aval du couple royal lors de la fuite à Varennes. Ce trésor aurait été sous la responsabilité du coiffeur de la reine, un certain Léonard. Lequel n’a pas été arrêté. Il aurait donc très bien pu continuer sa route jusqu’à Montmédy pour enterrer ces richesses dans l’un des nombreux souterrains, voire dans un immense puits de 82 mètres de profondeur.
De multiples possibilités en réalité
Comme souvent dans les légendes de trésors, l’histoire est belle, mais dès que l’on creuse un peu, la réalité fait moins rêver, résume Hugo Wispelaere, chargé du développement historique du Pays de Montmédy. « On ne sait même pas si ce trésor a quitté les Tuileries. Quelque temps plus tard, Danton avait été retrouvé en possession de bijoux de la reine… Ensuite, admettons qu’il soit parti. Léonard aurait pu enterrer son trésor dans la région de Varennes pour venir le déterrer plus tard. Pourquoi aller à Montmédy ? » Peut-être pour donner alors son trésor à l’abbé d’Orval, qui possédait un hôtel particulier dans la place forte… Lequel aurait pu le transférer ensuite à l’abbaye d’Orval de l’autre côté de la frontière. Des éclaireurs de la fuite à Varennes avaient notamment dormi dans l’abbaye, ce qui peut laisser entendre que le roi aurait eu l’intention d’y séjourner. Reste que si le trésor est arrivé jusque-là, peu de chances qu’il s’y trouve encore aujourd’hui ou alors il est particulièrement bien caché : en 1793, l’Armée révolutionnaire pillera pendant des jours l’abbaye cistercienne…
On le comprend : cela fait beaucoup d’hypothèses pour un trésor dont on ignore même s’il existe et donc son contenu ! Mais les versions le situant à Montmédy et Orval, à 15 kilomètres de là, tiennent la corde dans les écrits qui se sont multipliés depuis la fin du XIXe siècle. À l’époque, des guides touristiques évoquent déjà la légende du trésor. « Qui pourrait aussi bien avoir comme source une incompréhension, analyse Hugo Wispelaere. Dans un texte, il est écrit que le marquis de Bouillé a fait venir les rations et le « trésor » nécessaire pour subvenir à 15 000 hommes. Le trésor veut dire la solde, est-ce qu’il n’y aurait pas pu avoir confusion ? » La rumeur du trésor a en tout cas traversé les âges. Il arrive que des « poêles à frire » explorent Montmédy (malgré l’interdiction de cette activité à base de détecteur de métaux dans le département). Même chez les locaux, la légende est tenace. « En 2009, un habitant de la place forte avait voulu voir ce qu’il y avait derrière un mur de sa cave… Deux tonnes de dynamite qui dataient de 1870. » La forteresse a alors été évacuée le temps du déminage.
Un cadre propice à la légende
Reste que Montmédy coche bien toutes les cases pour laisser prospérer la rumeur. Ici, il n’y a pas eu de fouilles archéologiques depuis 1890, en dehors d’une campagne préventive dans la seconde moitié du XXe siècle. On ne dispose d’aucune cartographie complète de la forteresse, qui s’étale tout de même sur 18 hectares ! Des dizaines de kilomètres de souterrains et d’égouts à taille humaine, dont on trouve régulièrement de nouveaux accès ou correspondances, parsèment le sous-sol. Des étudiants de l’école d’architecture de Nancy devraient d’ailleurs essayer de la cartographier dans les prochains mois. Quant au profond et mystérieux puits, en travaux à l’époque du dépôt supposé du trésor et donc possiblement bardé d’échafaudages, il n’a jamais été fouillé dans les règles de l’art. Bref, il y a encore tout à explorer. Même si la probabilité que le supposé trésor de Marie-Antoinette y soit enfoui… est infime.
Nicolas Montard