Pas besoin d’aller à Paris. Ce premier samedi de mai, l’OCB Musiqué de Jean-Pierre Fabregat, toujours en quête de talents hors du commun, avait invité au théâtre de Béziers l’une des meilleures pianistes au monde, Anna Fedorova. Née en Ukraine, elle vit aujourd’hui à Amsterdam, aux Pays-Bas, dont elle avait quitté les brumes pour retrouver, l’espace d’une journée, le soleil du midi. Et quelle illumination ! Le soleil, c’était elle… Écouter Rachmaninov, ce grand compositeur pour le piano, écouter Ravel, Scriabine, Moussorgski ou, sur l’autre versant du monde, la Danse du feu de Manuel de Falla est un bonheur : les écouter interprétés par cette pianiste est une grâce !
Du bout de ses doigts le Ciel et la Terre
Son jeu est une illumination constante, démesurée, ses mains et ses doigts sur le clavier sont comme les ailes d’un grand oiseau blanc, roulant et volant près de l’écume des vagues, au-dessus d’une mer sombre et terrible, et son corps et ses bras qui semblent dompter l’instrument font résonner en lui tous les gouffres de l’âme.
À la beauté de l’interprète, le piano renvoie, dans une sorte de plein écho, l’infinie beauté d’une musique que le compositeur est allé chercher dans les cieux les plus lointains.
Anna, c’est un phénomène, une cosmogonie, c’est une magicienne blanche qui fait tourner au-dessus de nous la tonalité des grands mystères. Donnez-lui un clavier, elle en fait une source, un torrent, un fleuve, un océan d’équinoxe.
Dans l’élan de son corps, dans sa poitrine qui retient et libère le souffle des géants, elle porte une puissance inouïe. Ses mains courent sur le clavier, ses cheveux glissent sur ses épaules, elle emporte du bout de ses doigts le Ciel et la Terre, unis dans le miracle de la création, elle répand sur le monde la scintillante clarté des étoiles.
Comment fait-elle, sinon par une inspiration supérieure, pour développer une telle virtuosité, une facilité aussi déconcertante ? Et cela, avec un sourire, un bonheur tranquille, apaisant, une immense joie de vivre et d’être là près de vous, d’être heureuse et de vous rendre heureux, par la grâce de son sourire et de son talent qui soudain, en un éclair, vous transporte ailleurs, dans les méandres de l’indicible beauté.
L’entendre jouer, c’est monter au ciel
Et si on a la chance de la rencontrer après le concert, on est fasciné par sa gentillesse, son charme et sa simplicité. Pianiste et femme, elle ressuscite la bonté du monde, que tant de nos semblables, transis de pouvoir et d’orgueil, s’acharnent à détruire ! Elle chasse toute tristesse, elle vous réconcilie avec la vie. Être auprès d’elle et l’entendre jouer, c’est monter au Ciel. Il faut l’écouter, la regarder en silence, comme dans un temple ou une cathédrale, cela suffit à remplir votre âme d’un temps inoubliable, d’une ouverture sur l’éternité. Alors, si vous apprenez qu’elle vient se produire en concert non loin de chez vous, lâchez tout, réservez votre place, un an à l’avance s’il le faut, accourez, vous en ressortirez meilleurs, et bouleversés d’avoir connu ce qu’est vraiment la musique.
À n’en pas douter, cette pianiste, cette femme, côtoie les anges, ceux-là mêmes qui inspirent les grands compositeurs. Ils l’ont envoyée et elle est descendue sur Terre pour nous émerveiller, nous montrer le prélude à ce que doit être le paradis.
Jean-Pierre Péalez