Bien avant d’arriver au pouvoir, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, écrivait, dans Des idées napoléoniennes (1839) : « On ne détruit réellement que ce qu'on remplace. » La phrase est juste et prend tout son sens de nos jours, maintenant que les tumultes de la guerre de 1870 sont passés. La IIIe République s’est efforcée de détruire un Second Empire rayonnant, un empire pour la « paix ». Mais c’est bien à cause de la guerre que celui-ci périt, ternissant à jamais l’image de Napoléon III.
L’homme pensait peut-être bénéficier d’une belle vieillesse à la tête d’un empire libéral taillé sur mesure. Mais que nenni : la ruse bismarckienne l’achèvera en 1870 et l’empereur déchu mourra trois ans plus tard en Angleterre. Se construisant sur les ruines d’un empire pourtant prospère, la IIIe République s’efforce de ternir l’image de l’Empereur et de sa famille. Le triomphe des Hugo et des Zola est entier. Désormais, Napoléon III ne sera que Napoléon le petit et les élites du Second Empire des Rougon-Macquart.
Quel héritage ?
La « légende noire » a longtemps perduré. Mais le cent-cinquantenaire de sa mort, l’an dernier, a ravivé une flamme assoupie. Le 9 janvier 2023, plus de quatre cents personnes se réunissaient en l’église Saint-Augustin de Paris, l’occasion de remettre au centre du débat le retour des cendres de l’empereur, l’impératrice Eugénie et de leur fils, le prince Louis. Sous l’impulsion de Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblement national de la Somme, une proposition de résolution avait été déposée dans ce sens à l’Assemblée nationale afin « de reconnaître enfin que ni les corps ni la mémoire de Napoléon III et de sa famille ne méritent un tel bannissement. En effet, un demi‑siècle d’avancées historiographiques a désormais rigoureusement invalidé la "légende noire" qui a défiguré l’héritage du Second Empire. »
Bien que contrariée, cette entreprise aura au moins permis de relancer un certain intérêt pour le dernier souverain des Français. Pour Maxime Michelet, historien spécialiste de la question et président des Amis de Napoléon III, sollicité par nos soins, l’anniversaire de la mort de l’empereur est aussi l’occasion « de se souvenir que la France moderne est un héritage du XIXe siècle ».
Faisant siens les mots de Régis Debray - « L’Histoire, c’est la correspondance entre la mémoire et le projet » -, l’historien estime que ce temps de commémoration est utile pour « ne pas oublier d'où nous venons, et surtout qui nous sommes, pour mieux comprendre où nous voulons aller, et ce que nous voulons demeurer ». Et finalement, n’est-ce-pas cela, faire nation ? « C'est d'ailleurs un exercice d'humilité que de se souvenir de tout ce que nous devons à nos devanciers et de prendre conscience de notre rôle de chaînon, explique encore le biographe de l’impératrice Eugénie. L'héritage que nous avons reçu nous impose des devoirs, nous ne pouvons pas nous comporter comme des enfants ingrats quand tant de Français se sont battus pour nous léguer la France dans laquelle nous vivons. »
L’empereur vaut bien une messe !
Si Napoléon III avait éveillé la curiosité de millions de Français lors d’un numéro spécial de Secrets d’Histoire lui étant consacré en novembre dernier, on peut légitimement imaginer qu’un certain regain d’intérêt se fait sentir.
Jeune à la tête d’une association qui l’est moins, Maxime Michelet s’efforce de faire revivre le souvenir et voir perdurer l’héritage de l’empereur adepte du saint-simonisme. « Les Amis de Napoléon III existent depuis 1966 et poursuivent le combat mémoriel en faveur de Napoléon III et du Second Empire dans trois domaines d'action : l'action scientifique et intellectuelle, l'action culturelle et l'action commémorative, détaille-t-il, avant d’ajouter : en ce 9 janvier, nous nous consacrons à la dimension commémorative avec une messe mémorielle [dite en l’église Saint-Augustin de Paris, où souhaitait reposer le souverain, NDLR]. » Fier de multiplier les rendez-vous dédiés à celui qui impulsa la naissance d’une France moderne, l’historien n’oublie pas l’importance des champs scientifiques et intellectuels : « En décembre, nous avons ainsi proposé le plus grand colloque jamais organisé sur Napoléon III, avec près de 40 intervenants, sur quatre journées, à Paris, Lyon puis Marseille. »
L’objectif est clair : mobiliser la recherche pour renouveler les champs d’étude sur un Second Empire trop longtemps méprisé. « La mission scientifique est essentielle, renchérit le jeune président de l’association. Elle nous permet de mobiliser toutes les ressources de notre excellente école historique pour montrer tout le dynamisme et toute la modernité de l'historiographie du Second Empire, ce qui nous permet de dire avec force que la légende noire de Napoléon III n'a plus aucune légitimité et que le Second Empire mérite d'être étudié et commémoré sereinement », conclut le chercheur. Et, Napoléon III l’écrivait lui-même, « la vérité historique devrait être non moins sacrée que la religion ». Alors, accordons sa juste place à celui qui fit de la France une nation moderne, la fit pleinement entrer dans l’ère industrielle et rayonner dans le monde avec les réalisations du baron Haussmann et les rénovations d’Eugène Viollet-le-Duc.
Julien Tellier