Château de Versailles, septembre 2023. Le Roi Charles d'Angleterre est invité en grande pompe dans un dîner d'Etat offert par la République sous les ors du plus célébres des palais français au monde. Si la presse et les médias en ont abondamment rendu compte, cet événement est l'un des rares à ne pas figurer dans l'époustouflant « Versailles : la révolution gastronomique », un livre précieux (découvert sous papier de soie et manipulé avec des gants blancs) publié aux très exclusives éditions Dilecta. Normal : l'ouvrage était sous presse au moment de la visite - ce qui ne l'empêche nullement de revenir longuement sur les rapports des Windsor avec Versailles - et de découvrir ce qui fut servi aux monarques anglais. La future Queen Mum et le roi George VI eurent droit à un menu en en onze services lors de leur venue en 1938 (avec, au programme, mignonettes d'agneau Trianon, suprême de poularde de Bresse et mousse glacée Singapour). Quatre seulement furent servis en 1947 à la toute jeune future Reine Elizabeth II (briochines bohémiennes, truites saumonées, jambons glacés Windsor et mousses Coppelia), restrictions d'après guerre oblige.
Menus extraordinaires et picnic en carrosse.
« Versailles, c'est ce qui réunit tout le monde », explique Nicolas Kenedi, communiquant, membre de l'Institut Gastronomique, évidemment fin gourmet et passionné de diplomatie culinaire. C'est lui, en compagnie de l'historien Guillaume Picon et de Jean-Maurice Sacré, collectionneur de menus historiques, qui sont à l'origine de ce livre proprement fascinant, deuxième opus d'une série consacrée aux liens du pouvoir… et de la cuisine. Une passion entretenue depuis plus de trente ans par Jean-Maurice Scaré, qui, depuis l'achat en brocante de son premier menu (celui donné pour le roi d'Espagne Alphonse III au Palais de l'Elysée en 1905) a accumulé l'une des plus prestigieuses collections en la matière, allant aussi bien des réceptions officielles que du dernier menu du Ritz avant la déclaration de la première guerre mondiale au tout premier menu de paix du Carlton à Londres, pensé last minute par Auguste Escoffier.
Mais ici, c'est Versailles only - ou presque, puisqu'on découvre par exemple le menu du déjeuner ambulant servi à Louis XIV dans son carrosse en route pour Chambord. Une plongée historique géniale dans une époque où les menus… n'existaient pas vraiment. « Le menu tel qu'on le connait est une création de la moitié du XIXème siècle, lorsque apparait le service à la russe, où les plats se succèdent avec un ordonnacement précis», explique le collectionneur (dont certains trésors seront exposés au mois de novembre à la Cite de la Gastronomie de Dijon). Qu'importe : les trois passionnés se sont plongés dans les « Etats de Bouche » des Rois et autres Dauphins, Ducs et VIP à sang bleu, sorte d'inventaire du garde manger le plus prestigieux du Château de Versailles. L'occasion de découvrir que le Duc de Bourgogne (et ses convives) avalaient à la fin du XVIIème siècle, des bouillons de chapon vieux, boeuf, veau et mouton, des poulets fricassés, des perdrix ou autre gibier de saison, puis encore des pigeons accompagnés de salades et d'entremets divers. Les paons et autres cygnes apprécié à la Renaissance ont disparu, mais le vegan n'est pas encore d'actualité.
armi les trésors réunis dans le livre, on retrouve ceux de Louis XV, qui, moins adepte du « Grand Couvert » que soin aïeul Louis XIV (par ailleurs grand fan de petits pois) , aimait à s'isoler dans son Château de Marly. Illustrés par François-Pierre Brain de Sainte-Marie, commis du Garde- Meuble de la Couronne, pas moins de huit recueils allant de 1744 à 1759 racontent non seulement une page de l'histoire gastronomique, mais aussi une évolution des goûts esthétiques, dans cette ahurissante succession de grandes entrées, entrées, entrements et petits entrements (de six à douze) , rôtis (aps moins de six sont servis le 23 juin 1751). Un art de vivre qui se vit aussi dans les vaisselles rares, dont le service « Bleu céléste » commandé par Louis XV en personne à la Manufacture de Vincennes, ou dans ces plats ornés de fleurs ayant appartenu à Madame Du Barry…
Marie-Antoinette, entourée d'hommes et à la gauche du Roi.
Mais ces évenements ne sont pas que des parties de plaisir. « Pouvoir et gastronomie », répètent les auteurs, qui explorent le plus finement possible les enjeux politiques, économiques, et même technologiques que sont ces événements. « N'oubliez pas que les diners du Château de Versailles ont été aussi, à leur manière, une révolution agronomique : il fallait que le Roi soit le premier à avoir les meilleurs fruits, les meilleurs légumes : le potager, l'Orangerie sont des lieux de production, mais aussi d'innovation et d'expérimentation », poursuit Nicolas Kenedi. Mais la petite histoire se mêle ici aux grands enjeux de l'Etat, lorsque l'on découvre par exemple le pland e table du souper donne le 16 mai 1770 pour célébrer le mariage du Dauphin et de l'Archiduchesse Marie Antoinette…
L'occasion d'apprendre aussi que la Révolution s'est préoccupée des frais de bouche de la famille royale, procédant à une étude approfondie des coûts et proposant même une « Nouvelle administration de la Maison-Bouche du Roi », prévoyant tout de même pour le Grand Couvert de la famille un menu composé d'une entrée, deux “oilles”, quatre hors d'oeuvre, six entrées, deux moyennes entrées, six rôtis, trois gâteaux mais aussi, et c'est une marque des changement de l'époque, des légumes et fruits baptisés “entremets” : asperges, choux-fleur, crème de pommes, gelée d'oranges…
Le velouté Sultane de Jaqueline Kennedy
Marie Antoinette ne sera pas la seule star de la table du Château de Versailles. En 1961, le président américain John F. Kennedy et son épouse sont en visite officielle en France, et reçus à Versailles par le Général de Gaulle pour un dîner dans la Galerie des Glaces entré dans l'histoire. Le plan de table de ce soit là figure dans le livre, au même titre que le velouté Sultane, les timbales de sole Joinville, le chaud-froid de volaille et le parfait Vivienne, accompagnés de Riesling, de Cheval Blanc et de champagne Lanson.
La République et la Monarchie.
« Versailles, c'est ce qui réconcilie tout le monde », avait dit Nicolas Kenedi en tournant délicatement les pages du premier livre tout juste arrivé dans son coffret relié. On y croise donc des artistes, comme Chagall, qui illustre le menu du dîner donné en 1978 au Grand Trianon pour le président Carter et son épouse. Il s'agit d'une colombe, clin d'oeil à la première visite du président dans les cimétières américains des plages du débarquement, nous explique Jean Maurice Sacré, pas avare d'anecdotes sur chacune des illustrations, photographies, notes que l'on découvre au fil des plus de 400 pages de l'ouvrage, dont la couverture est décorée de deux couverts portant aussi bien les armes de la République que les symboles de la Monarchie…
Une nourriture pour l'esprit et les yeux.
Mais a qui s'adresse un tel ouvrage? A des passionnés prêts à y mettre le prix (850 euros). Le premier opus de cette collection, consacré aux tables de De Gaulle, figure également dans la bibliothèques de Stanford, aux Etats-Unis, ainsi que dans le fond de quelques grandes maisons de vins fournissant régulièrement le Château de Versailles. Plus qu'un livre, voici une sorte d'objet de culte, édité en langue française et l’autre en langue anglaise, à 400 exemplaires numérotés, accompagnés d'un certificat d’authenticité, ainsi que cinq tirés à part reproduisant des gravures, - une pour chaque siècle - le dernier tiré à part figurant une œuvre de l’artiste Philippe Cognée. Une nourriture pour l'esprit qui ravit aussi les yeux, disponible sur le site des éditions Dilecta.
Pierre Groppo