Les films sur la Révolution sont légion ; on pense aux incontournables La Marseillaise de Jean Renoir, Les Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau, La Nuit de Varennes d’Ettore Scola, Danton d’Andrzej Wajda et surtout au célèbre diptyque La Révolution française réalisé par Robert Enrico et Richard T. Heffron pour le bicentenaire de 1989. Plus récemment, en 2018, Un peuple et son roi de Pierre Schoeller vint ajouter sa pierre à l’édifice brinquebalant d’une cinématographie encore très largement bienveillante envers les événements révolutionnaires, voulus forcément salvateurs et libérateurs… Pourtant, un autre son de cloche commence à se faire entendre au cinéma ; après l’épique Vaincre ou mourir, sur l’héroïsme du Vendéen François Athanase Charette de la Contrie, Le Déluge, de l’Italien Gianluca Jodice, met aujourd’hui la focale sur l’épisode peu reluisant du calvaire de la famille royale, enfermée à la prison du Temple à partir du mois d’août 1792.
Les victimes expiatoires de l’Ancien Régime
Librement inspiré des notes de Cléry, le valet de Louis XVI, le film s’affiche comme un huis clos centré sur les cinq derniers mois de la vie du roi. Un choix frustrant, dans la mesure où le récit fait l’impasse sur tout ce qui précède (le contexte) et sur tout ce qui suit : la mort de la reine et le traitement ignoble infligé à Louis XVII. Sans doute suffisait-il, aux yeux du cinéaste, d’aborder la chute du roi pour évoquer le « déluge » et l’effondrement de l’Ancien Régime, balayé du jour au lendemain par les flots de l’égalitarisme républicain.
Sous sa caméra, la famille royale apparaît alors, de façon honnête, comme victime expiatoire de tout un système politique. Lequel, en vérité, n’a pas su mettre au pas la noblesse et a payé lourdement sa participation à l’effort de guerre de la révolution américaine – des raisons qu’il eût été judicieux d’invoquer au cours du récit afin d’en renforcer la dimension sacrificielle.
Nonobstant, la grande qualité du film est de questionner les fondements philosophiques de la Révolution française, Gianluca Jodice n’étant dupe ni de l’idéal égalitaire, scandé à tout bout de champ, ni de la nature humaine, dont il nous montre la violence intrinsèque et la bassesse morale à travers des révolutionnaires envieux, sectaires et mal dégrossis.
Un portrait douteux du roi et de la reine
Grandement inspiré dans sa mise en scène, qui fourmille d’idées, le cinéaste prend quelques libertés avec l’Histoire, en imaginant Louis XVI discuter de son exécution avec le bourreau Sanson, ou bien Marie-Antoinette accorder des faveurs sexuelles à son geôlier en échange d’un traitement plus humain. Plus embêtant, le film nous présente une Marie-Antoinette (Mélanie Laurent) peu aristocratique dans son attitude, qui tutoie son époux, le réprimande à loisir et se met, à la fin, à pousser des gueulantes ridicules contre les autorités, dignes d’un exercice du cours Florent – une séquence maladroite qui met extrêmement mal à l’aise.
Louis XVI, de son côté, campé par le talentueux Guillaume Canet – qui a dû s’infliger quatre heures de maquillage par jour –, correspond un peu trop, à notre goût, à cette image véhiculée depuis deux siècles d’un roi benêt, faible et naïf ; ce qu’il ne fut assurément pas, son intelligence ne fait plus débat parmi les historiens …
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre