L'un des plus célèbres palais au monde n'aurait sans doute jamais connu un tel destin sans un caprice de Louis XIV, piqué au vif en 1661 par le surintendant des Finances, Nicolas Fouquet.
Au château de Versailles (Yvelines), il y a l'ombre d'un autre. Celle du château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne), situé à une soixantaine de kilomètres de là. Entre les deux, les ressemblances sont frappantes : mêmes façades sculptées, même décoration opulente, mêmes jeux de perspective… Tant et si bien que les films et les séries dont l'intrigue se déroule dans la résidence versaillaise de Louis XIV sont parfois tournés à Vaux-le-Vicomte, dont le site est moins envahi par les touristes.
Initialement, pourtant, le domaine de Versailles n'avait rien de l'écrin resplendissant que l'on connaît aujourd'hui : ce n'est qu'un modeste pavillon de chasse bâti par Louis XIII en 1623. Entouré par les forêts et les marécages, il n'a pas de quoi faire fantasmer les courtisans. « Versailles, le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant ou marécage, sans air », déplore le fameux chroniqueur Saint-Simon, contemporain de Louis XIV. Malgré l'inconfort du séjour, le Roi-Soleil aime à s'y rendre dès 1651, sans doute pour fuir la capitale qui lui est passablement hostile au début de son règne (1643-1715).
Cernée par les moustiques, la résidence versaillaise ne peut rivaliser avec les demeures de plaisance qui éclosent dans la région francilienne au XVIIe siècle. Des bâtisses de «nouveaux riches» sont élevées en grande partie par les financiers et usuriers qui mettent leur fortune au service du gratin politique d'Europe. Nommé surintendant des Finances en 1653, Nicolas Fouquet est un de ces ambitieux. Ayant amassé une fortune considérable au service du Roi-Soleil, il projette la construction d'une demeure de plaisance en Seine-et-Marne.
Un péché d'arrogance
C'est dans la localité de Vaux-le-Vicomte que son rêve de pierre et de brique doit prendre forme. Pour le réaliser, Nicolas Fouquet fait appel aux meilleurs bâtisseurs de l'époque: Louis Le Vau est l'architecte des bâtiments, André Le Nôtre conçoit les jardins, Charles Le Brun se charge de la décoration. Engagé en 1655, le chantier est expéditif: les plans sont arrêtés l'année suivante, la charpente posée en 1657, la toiture achevée en 1658. Dès 1661, Nicolas Fouquet y pose ses valises, donnant des réceptions fastueuses, alors que toutes les décorations ne sont pas encore posées.
Le jeune Louis XIV fait partie des invités. Convié à Vaux le 17 août 1661, le monarque est ébloui par les feux d'artifice, le banquet somptueux et les divertissements. Les festivités sont rythmées par une comédie-ballet mise en scène par Molière et Jean-Baptiste Lully, «avec toute la magnificence imaginable», rapporte La Gazette de France. Ivre de sa propre success story, Nicolas Fouquet n'a ménagé aucune dépense pour étourdir le souverain, «quoique la prudence dût l'empêcher de faire voir au roi une chose qui marquait si fort le mauvais usage des Finances», ironise Madame de La Fayette.
Face à tant d'ostentation, Sa Majesté serre les dents. « J'aurais dû faire arrêter Fouquet sur l'heure », grince Louis XIV. Sa mère, Anne d'Autriche, l'en dissuade pour éviter l'esclandre. Mais le monarque absolu n'attendra pas que sa vengeance refroidisse pour l'assouvir…
Le 5 septembre 1661, jour de son 23e anniversaire, Louis XIV envoie D'Artagnan, capitaine des mousquetaires, mettre le surintendant aux arrêts. Le motif retenu ? Le péculat, c'est-à-dire le détournement de fonds publics par un dépositaire ou un comptable public. « Le 17 août, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France. À 2 heures du matin, il n'était plus rien », résume Voltaire.
Un avant-goût de Versailles
La splendide demeure de Vaux-le-Vicomte passe aussitôt de la lumière à l'ombre, des fêtes bruyantes au silence de caveau: «Tentures rangées dans le garde-meuble, rideaux tirés sur les tapisseries, vaisselle précieuse et objets de prix réunis dans un coffre-fort.» Confisqué, le château est mis aux enchères en 1665, et Louis XIV en profite pour récupérer des tapisseries, du mobilier de marbre, des vases, des étoffes précieuses, du carrelage, jusqu'aux orangers des jardins, bientôt replantés à Versailles!
Même traitement pour Nicolas Fouquet, dont le procès épuisant, conclu en décembre 1664, est peu équitable. Les commissaires du procès ont été choisis parmi les ennemis notoires de l'ancien surintendant des Finances, qui l'accablent de fausses preuves. Pour son arrogance, Nicolas Fouquet est banni du royaume, peine que Louis XIV commue en prison à vie. Détenu dans la forteresse de Pignerol, située dans les Alpes italiennes près de Turin (Piémont), l'homme déchu s'y éteint en mars 1680 dans des conditions extrêmement précaires et ses funérailles sont aussi sobres que son ascension fut stellaire.
Au même moment, le château de Versailles resplendit de mille feux. La triplette d'artistes mobilisée sur le chantier de Vaux-le-Vicomte –l'architecte Louis Le Vau, le paysagiste André Le Nôtre et le peintre-décorateur Charles Le Brun– a été recrutée par le Roi-Soleil pour lui donner l'éclat qu'il mérite. Une grande campagne de travaux s'engage: agrandissement des jardins, comblement des marais, construction de la galerie des Glaces, pose de décorations, aménagement des appartements, etc. « Le plus grand palais du monde », allégorie du pouvoir absolu, sort de terre. Il ne souffrira plus d'aucune concurrence.
Nicolas Méra