La Pastorale des Santons de Provence fait partie des grandes traditions provençales du temps de Noël. Héritière des « Mystères » médiévaux, elle raconte, avec humour, la naissance du Christ… Tous les personnages types des récits provençaux sont conviés pour raconter l’histoire : les bergers, le meunier, le gendarme et le voleur, la belle et son fiancé, le ravi et l’aveugle… Personnages hauts en couleurs, que l’on retrouve dans les crèches à santons (santoun = petit saint), maire et curé inclus ! C’est une représentation théâtralisée donnée lors de la messe de minuit. Elle est parlée et chantée, en provençal ou en français, et les personnages sont en habits provençaux. C’est une tradition extrêmement populaire : il existe environ 250 versions différentes !
C’est à la fin du XVIIIe s. qu’apparaissent les Pastorales en Provence. Une des plus célèbres est la Pastorale Maurel, créée en 1844 par un ouvrier miroitier de Marseille, Antoine Maurel, membre du Cercle Catholique d’Ouvriers, dirigé par l’Abbé Julien (rue Nau). Pièce théâtrale et musicale en 5 actes en provençal (sauf le dernier acte, écrit en français mais rarement donné), elle raconte le pèlerinage des Provençaux vers Bethléem, village de Provence pour l’occasion. C’est l’annonce aux Bergers (« li pastre », qui a donné « pastorale »), qui préviennent à leur tour les gens du village… Etonnement, doute, espoir… chacun se prépare à venir saluer le nouveau né. Aujourd’hui encore donnée entièrement en provençal, la passion des acteurs, la mise en scène et la présence des animaux, tout est réuni pour en faire un événement à la portée de tous.
Si au départ l’argument de la pièce est très fortement imprégné de l’esprit religieux, petit à petit, du fait de la baisse de l’utilisation de la langue Provençale, cette Pastorale Maurel revêt un caractère plus culturel voire identitaire. Pratiquement la seule interprétée chaque année à Noël dans la langue de Frédéric Mistral, chaque représentation attire de nombreuses personnes nostalgiques de cette langue, qui ne manquent pas d’amener avec eux leurs enfants voire leurs petits-enfants.
La Pastorale la plus représentée dans les paroisses aujourd’hui est sans doute celle écrite par Yvan Audouard, en français et accessible à ceux qui ne pratiquent pas le provençal. C’est à la fois un conte et une ouvre de piété. Dans la nuit de Noël, les miracles s’accumulent : les avares deviennent généreux, les voleurs honnêtes, Mireille et Vincent sont toujours amoureux… et la paix règne sur le monde. Beethléem se situe dans les Alpilles et les Bergers parlent provençal. Anachronismes et farces succèdent aux chants de Noël (non encore inventés !) des Anges descendus du ciel pour louer le divin enfant.
Yvan Audouard (1914-2024), journaliste et écrivain, a écrit sa Pastorale en souvenir de sa mère. Elevé chrétiennement par sa mère, Baptistine, et sa tante Joséphine (son père militaire est souvent absent), il n’hésitait pas à dire que « le Jésus de (sa) maman se sentait chez (eux) comme chez lui. C’était un véritable « ami » de la famille. Les saints du paradis aussi. Baptistine les invoquait en toutes circonstances, à tel point (qu’il) les croyais tous à son service. Ce n’est pas par piété (qu’il a) écrit la Pastorale, c’est pour elle, en souvenir de (son) enfance. » (La Croix, 2000)
« Moi je suis l’ange Boufaréu. Ils m’ont appelé comme ça à cause des grosses joues que j’ai fini par attraper à force de jouer de la trompette chaque fois que le bon Dieu est content. Et cette nuit là, jamais il n’avait été aussi content de sa vie, le bon Dieu. Il allait être Papa d’un instant à l’autre. Et moi, jamais j’avais soufflé aussi fort dans mon instrument.
Je vais vous dire comment ça c’est passé, parce que, de l’endroit où j’étais, c’est tout de même moi qui ai le mieux vu les choses. C’était le 24 décembre, il faisait mistral, un mistral à décorner tous les taureaux de Camargue, à déraciner les oliviers de la Crau ou les pins des Alpilles, et tous les habitants de Bethléem s’étaient mis au lit de bonne heure. Et ils avaient ramené leur couverture au dessus de leur tête pour ne pas entendre souffler le vent. Le mistral, qui est un ami du bon Dieu, avait chassé les nuages à des milliers de kilomètres, pour que le ciel soit tout propre et tout brillant d’étoiles pour la naissance du petit. Il avait fait la toilette du Ciel. Ca partait d’un bon sentiment, mais ça avait baissé la température. J’avais juste mes ailes pour me mettre à l’abri, et je commençais à me faire du mauvais sang. Je me penchais de tous les côtés. Enfin, je les ai aperçus. Les pauvres, ils faisaient peine à voir. Saint Joseph marchait devant, la barbe secouée par le mistral comme une bannière. Il essayait de couper le vent à la Sainte Vierge avec ses larges épaules… »
La Pastorale des Santons de Provence, Yvan Audouard
Jésus est né en Provence, entre Les Saintes-Marie et Avignon. Et c’est un berger qui me l’a dit…
Alice de Charnay