Ian Fleming, l’homme qui vivait ses romans avant de les écrire

James Bond : l'Aston Martin de l'agent secret retrouvée 25 ans après sa  disparition

Aristocrate et baroudeur. Individualiste et patriote. Désabusé mais toujours prêt à servir son pays. Très instruit sans se prendre pour un intello. Un peu macho mais délicat avec les femmes. Tel était le « père » de James Bond qui a créé un personnage de fiction qui lui ressemble.

À ses débuts, il y a du Tintin chez Fleming, jeune homme flegmatique et éclectique

Après des études à Eton, puis à l’académie militaire de Sandhurst et aux universités de Munich et de Genève, Ian Fleming parlait couramment l’allemand, le français et le russe.

En 1930, à 22 ans, il obtient un poste d’attaché à la Section de coopération internationale de la Société des Nations. Le comité de sélection comprend Henri Bergson, Marie Curie et Albert Einstein. Difficile d’avoir de plus prestigieux parrains. Mais après trois mois, il démissionne. La bureaucratie l’ennuie. Il veut bouger.

En 1931, il devient journaliste chez Reuters. Il se formera sur le tas en abordant un large éventail de secteurs : sports, sciences, diplomatie, course automobile, aviation, bourse et finances, monde des affaires et de la politique, où il entretient des contacts utiles.

En 1933, Reuters l’envoie à Moscou pour couvrir le procès de six Anglais de la Metropolitan-Vickers accusés d’avoir saboté les turbines de plusieurs centrales électriques. Un condamné, un acquitté, les autres expulsés. Cet épisode enrichit le futur romancier d’une documentation de première main sur les aveux extorqués, les procès truqués, et les tortionnaires sadiques auxquels se heurtera 007 à l’avenir. À son retour à Londres, Ian est invité à communiquer à des agents du Foreign office ses impressions de voyage au pays des Soviets.

La vie de Ian Fleming fut mieux que ses romans. Mais il n’avait pas le droit d’en parler. Alors, il brodait.

En 1939, à la veille de la guerre, le maître espion John Godfrey, directeur du DNIS Department of Naval Intelligence Service, recherche un aide de camp. Ian Fleming a le profil idéal par sa maîtrise de l’allemand et du français, sa connaissance de l’URSS, sa formation militaire, ses contacts dans le monde de la politique, et le discret travail de renseignement effectué en Allemagne sous la casquette de reporter.

Plus tard, Fleming s’inspirera de Godfrey pour créer « M», le patron de James Bond. Engagé comme lieutenant, Ian est vite promu commander, le grade de 007. Ce boulot le passionne. Il se sent merveilleusement à l’aise dans ce haut-lieu de l’espionnage en temps de guerre. Où il se fait vite remarquer et apprécier avec ses idées originales pour duper l’ennemi en travestissant les plans réels des Alliés. Son imagination débordante n’est jamais à court d’idées.

En 1941, il se rend en France incognito afin de tenter de convaincre l’amiral François Darlan de déplacer la « Royale » dans les eaux britanniques. En vain car cet officier obtus a rallié le régime de Vichy. Il retournera sa veste fin 1942. Trop tard. Il connaîtra la fin des traîtres.

Toujours en 1941, Ian Fleming rencontre le général de Gaulle qui souhaite une plus étroite coordination des services secrets avec la Résistance. Avec le canadien William Stephenson, Fleming contribue à jeter les bases de l’Office of Strategic Services (OSS), ancêtre de la CIA.

Durant cinq ans, Ian Fleming va multiplier les voyages et jouer un rôle essentiel de liaison entre le DNIS, le Secret Intelligence Service (SIS), le Special Operations Executive (SOE) et Winston Churchill, prenant une part décisive dans la conception des opérations musclées en Europe occupée. Comme l’élimination de Reinhard Heydrich.

Dans le bain jusqu’au bout des oreilles

Il crée au début de l’année 1942 le commando « Special Engineering Unit» dont les membres sont recrutés en fonction de leurs talents particuliers. Y compris parmi les voyous. Habiles pick pockets, artistes faussaires, perceurs de coffres-forts ou tueurs à gages, qui gagnent ainsi l’impunité au service de la patrie. On n’est pas trop regardant pour casser du Boche. Et de toute façon, bien peu ont une chance de revenir. Le cinéma s’emparera du thème des « salopards » après la guerre.

Le commando formé de 24 hommes en 1942, en comptera jusqu’à 450 en 1945. Divisés en petites unités de six ou huit agents très entraînés, ils seront déployés dans les pays d’Europe occupée, en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Détail authentique : Ian insiste pour que ses agents de terrain lisent des romans d’espionnage, dont il a établi une liste en fonction de la géographie et de la population des zones où ils opéreront.

James Bond, pardon Ian Fleming, dirige personnellement son commando lors de l’Opération « Torch » à Alger en 1942 où il s’empare d’une machine à coder Enigma modifiée. Mais les méthodes modernes de gestion des ressources humaines lui sont étrangères. En juillet 1944, il va en Normandie pour restaurer la discipline dans un commando démoralisé et menace de faire fusiller les faibles. Dur sans doute. Mais lui-même s’expose au feu de l’ennemi sans barguigner.

Au printemps 1945 alors que Hitler a perdu la guerre, Ian Fleming retourne en Allemagne pour subtiliser le maximum de dossiers secrets du Reich au nez et à la barbe des Russes. Avant que les nazis les détruisent. Autant de pièces qui renforceront l’acte d’accusation à Nuremberg.

Une semi retraite sous les tropiques

Après la guerre, Fleming intègre le groupe de presse de Lord Kemsley, qui table sur ses talents d’organisateur, son prestige et son leadership pour diriger le service des affaires étrangères de ses journaux, notamment le « Sunday Times ». À 38 ans, en plus d’un salaire confortable, il obtient de son patron deux mois de vacances payées qu’il passera chaque hiver à Goldeneye, sa propriété en Jamaïque.

C’est là qu’il écrira ses romans à partir de 1952. Très perfectionniste, il dira avoir détruit des moutures dont il n’était pas satisfait. Finalement « Casino Royale » est achevé en cinq ou six semaines fin février 1952, à raison de 2.000 mots par jour, tapés sur une machine à écrire mécanique.

Il soumet son manuscrit en juillet à l’éditeur Jonathan Cape qui le lit d’une traite tant il est accroché par l’histoire. L’ouvrage est publié en avril 1953. Fleming choisit lui même la typographie et le graphisme de la couverture, car il estime qu’une présentation attirante est très importante pour la vente. Pour l’époque, il innove.

Le succès de librairie est immédiat. L’ouvrage doit être réédité un mois après sa sortie. Trois tirages seront nécessaires pour répondre à la demande. Ainsi commence une série de onze romans racontant les aventures de l’espion le plus british. Élégant, flegmatique mais énergique, et toujours gentleman avec les dames. Le personnage acquerra une célébrité mondiale et fera l’objet de nombreuses adaptations au cinéma, à la radio, en bande dessinée et en jeu vidéo.

Les histoires de 007 se classent parmi les livres de fiction les plus vendus de tous les temps, 100 millions d’exemplaires et ça continue, et leurs adaptations cinématographiques battent des records de fréquentation en salles. En 2008, « The Times » a classé Fleming quatorzième sur sa liste des 50 plus grands écrivains britanniques. Au milieu de Shakespeare, George Orwell, Jane Eyre, Charles Dickens, Jospeh Conrad, Virginia Woolf et James Hadley Chase. Que du beau monde, pour tous les goûts.

Le couronnement sera en mars 1960, sa rencontre avec John Kennedy, qui était fan de ses livres. Peu après, l’incident de l’U-2 abattu par les Soviets, les plus hautes sphères de l’administration étasunienne le consultent. Son expertise est reconnue. Et par la suite lors de la crise des missiles de Cuba en 1963, le secrétaire d’État John Foster Dulles dira que la CIA aurait besoin d’une demi-douzaine de James Bond.

Grand séducteur apprécié des femmes, bon buveur de martini vesper et gros fumeur de Havanes, le père de James Bond souffrait d’une maladie cardiaque. Il est mort en 1964, à 56 ans, d’un infarctus du myocarde. Après une vie courte mais intense où il n’a pas eu le temps de s’ennuyer.

Aujourd’hui, des wokistes qui n’ont pas le centième de son talent, se piquent de corriger ses romans pour en raturer les propos qui leur paraissent offensants. Tout le monde sait que les gangsters noirs, les tueurs mahométans et les traîtres asiatiques n’existent que dans le cerveau pervers des méchants racistes.

Christian Navis

Date de dernière mise à jour : 26/10/2024

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