La bataille du Mans, 12 et 13 décembre 1793

« Il n’y a plus de Vendée; elle est morte sous notre sabre libre avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay… J’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui pour celles-là n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé… ». (Lettre du général Westermann à la Convention)

Dès qu’arrivent les frimas de décembre, j’ai une pensée pour les martyrs chouans massacrés à la bataille du Mans et dont le reliquat a été achevé à Savenay, le 23 décembre 1793. Savenay est la dernière bataille de la « virée de Galerne »; l’anéantissement de l’« Armée Catholique et Royale ».

Pourquoi en parler aujourd’hui ? D’abord par « devoir de mémoire », mais aussi pour tenter de faire cesser l’omerta autour des guerres de Vendée. Il faut que la République reconnaisse – enfin ! – le génocide vendéen. Les Vendéens ne demandent rien d’autres qu’un pardon de la nation.

Durant mes études, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu parler du génocide vendéen, sinon très sommairement. Plus tard, j’ai lu «  La Vendée en armes », la trilogie de Jean-François Chiappe (1), puis, en 1989, l’année du bicentenaire de la Révolution, j’ai adhéré à « l’Anti 89 », mouvement fondé par François Brigneau et André Figueras, pour dénoncer les crimes de cette époque trouble. François Brigneau était un Breton qui parlait fort ; André Figueras avait une belle intelligence aussi confuse que ses écrits. Tous deux battaient l’estrade en racontant – souvent devant des rombières horrifiées – les horreurs de la Terreur et les massacres en Vendée. Depuis, j’ai écrit des dizaines d’articles sur la « Vendée militaire », et j’ai lu de nombreux livres sur le sujet, dont « Le Roman de Charette » (2) de Philippe de Villiers (à qui l’on doit la magnifique « cinéscénie » du Puy du Fou). Alors, tant pis si je dois faire hurler les ignares, les imbéciles ou les falsificateurs qui idéalisent la Révolution, mais la Vendée, c’est l’histoire d’un « populicide » que nos manuels d’histoire ont occulté volontairement pour ne pas ternir le roman national bâti autour de la Révolution. « Populicide » (de populus, le peuple) désigne ce qui tue le peuple. Le mot apparaît en 1794, sous la plume de Gracchus Babeuf.

Mais venons-en à mon sujet du jour : la bataille du Mans, les 12 et 13 décembre 1793.

Le point de départ de l’insurrection vendéenne n’est pas, comme on le lit trop souvent, la seule mort du Roi Louis XVI. C’est la conjonction de quatre facteurs: la Constitution civile du clergé, la décapitation du Roi, la conscription et… la faim, qui ont poussé les Vendéens à prendre les armes.

Au départ, l’émeute était essentiellement populaire, ou plus exactement, paysanne, mais très rapidement les Vendéens allèrent demander à leurs seigneurs de les commander. L’insurrection est partie de la base et non d’une aristocratie royaliste en mal de revanche. Ses premiers chefs étaient tous des roturiers. Les aristocrates sont arrivés après, appelés parce qu’ils connaissaient le métier des armes. « Nos Messieurs se sont bien battus » disait la troupe quand leurs chefs les conduisaient à la victoire. Mais, malgré leur courage, dans cette guerre de gueux  la lutte était inégale.

Nous sommes en décembre 1793. Après avoir échoué à franchir la Loire à Angers, l’« Armée Catholique et Royale », harcelée par la cavalerie « bleue », poursuit sa marche en direction du Mans. Ses effectifs sont considérablement réduits. Elle compte moins de 20 000 hommes et traîne avec elle des milliers de blessés, de malades, de femmes, d’enfants, de vieillards. De 80 000 au départ de la « Virée de Galerne », ils ne sont plus que la moitié, souffrant de la faim et du froid, ravagés par une épidémie de dysenterie et par le typhus. Pourtant, à Pontlieue, ils dispersent 4 000 Républicains en une demi-heure. Ils manquent de tout mais ils s’emparent du Mans le 10 décembre. Là, ils trouvent des vivres et des vêtements. Mais, leur moral est bas et la maladie continue de faire des ravages dans leurs rangs. Et pendant ce temps, l’Armée « bleue » fourbit ses armes et se prépare à combattre.

Le 12 décembre 1793, son avant-garde, commandée par les généraux Westermann et Muller, arrive devant la ville. La Rochejaquelein rassemble 3 000 hommes et monte une embuscade dans un bois situé près de la ville. Les cavaliers de Westermann, surpris, battent en retraite, quant à la Division Muller, elle se débande aux premiers coups de fusils. Les Républicains vont être écrasés, quand la Division du général Delaistre de Tilly, de l’Armée de Cherbourg, arrive en renfort. Devant le nombre, les Vendéens fuient et se réfugient dans la ville du Mans. Puis, François Séverin Marceau, général en chef républicain, arrive sur place rassemble toutes ses troupes à Cérans-Foulletourte.

Il est suivi de Kléber et des troupes de l’Armée de Mayence. Marceau voudrait attendre tous les régiments avant d’attaquer mais Westermann veut en finir vite et il lance ses troupes à l’assaut, obligeant Marceau à le suivre. L’Armée « bleue » entre en ville à la tombée de la nuit et emporte toutes les barricades tenues par les Vendéens. Durant toute la nuit, les combats sont acharnés.

Toussaint de Pontbriand écrira, plus tard : « … la confusion et le désordre régnaient dans la ville, les rues étaient remplies de canons, caissons, voitures, équipages… Les hommes, les chevaux morts, remplissaient les rues, et on ne marchait que sur des cadavres, les cris des blessés, placés sur des voitures ou dans les maisons, comblaient la mesure de cette scène d’horreur… ».

La Rochejaquelein cherche à protéger la retraite des survivants en direction de Laval, la seule libre, en passant le pont sur la Sarthe. Les Vendéens déploient quatorze canons à la sortie de la ville et arrivent ainsi à couvrir la retraite des fuyards.  Mais des milliers de Vendéens, non-combattants, retranchés dans des habitations, sont bloqués à l’intérieur du Mans. Quelques Vendéens défendent encore des îlots de résistance. Ils tiennent toute la nuit mais ils finiront par être massacrés par l’artillerie du général Carpentier. Les canons écrasent les civils sous les décombres. Kléber arrive en renfort avec ses troupes, mais la bataille est finie. Des Vendéens parvenus à fuir sont reconduits dans Le Mans et livrés à la vindicte populaire. Westermann rassemble ses hussards et, suivi des régiments d’Armagnac et d’Aunis, se lance à la poursuite des fuyards. Tous les traînards sont massacrés, pour la plupart d’entre eux, par des paysans sarthois qui prêtent main-forte aux soldats « bleus ».

Cette bataille du Mans fut une horreur, une véritable boucherie (3). Je ne prétends pas faire un travail d’historien ; je n’en ai pas l’objectivité froide car j’ai choisi le camp vendéen. Aussi, pour ne pas être taxé de partialité, je vous livre, ici, quelques extraits d’une lettre adressée par le Républicain Benaben à Jean-Antoine Vial, procureur syndic de Maine-et-Loire, quelques heures après la bataille. Cette longue lettre fourmille de détails abjects que son auteur raconte avec délectation…

« J’ai à vous annoncer, mon cher ami, la plus grande victoire que nous ayons remportée depuis le commencement de la guerre ; l’armée brigande n’existe plus, elle vient d’être défaite au Mans; ce qui en reste doit être à l’heure où je vous écris exterminé par les paysans… La Division de Cherbourg, aidée de celle de Westermann, attaqua vigoureusement les brigands… une lutte à mort s’engagea… Malgré tout leur courage, ils ne parvenaient pas à faire reculer les brigands d’un pouce ; ceux-ci tiraient sans cesse sur nous un feu meurtrier qui, à un moment, faillit amener la déroute parmi les nôtres qui commençaient à fuir. Enfin nos braves soldats entrèrent dans la ville, où une lutte terrible s’engagea. On se battit corps à corps, on se tirait des coups de pistolets à bout portant, on s’assommait à coups de crosse de fusil. Les brigands, cachés dans les maisons, derrière les cheminées des toits, derrière les palis des jardins et jusque dans les caves, fusillaient nos malheureux combattants. Ceux-ci, à mesure qu’ils avançaient, pénétraient dans les maisons, y tuaient tout ce qu’ils rencontraient et jetaient les cadavres par les fenêtres ; il y en avait des tas plus haut qu’un homme, ce qui empêchait les troupes d’avancer… Le général Carpentier fit avancer quelques pièces de canon qu’il fit charger tout à la fois de boulets et de mitraille et qu’il dirigea sur la place et sur les maisons. Les brigands furent bientôt obligés d’abandonner la ville, poursuivis par nos braves soldats qui en firent un formidable massacre… »  

Jusque là, c’est le récit d’une bataille féroce mais l’époque  n’était pas tendre et les deux camps ne se faisaient pas de cadeaux. La suite est atroce… « On ne voit partout que des cadavres, des fusils, des caissons renversés ou démontés, parmi les cadavres ; beaucoup de femmes nues que les soldats ont dépouillées et qu’ils ont tuées après les avoir violées. Un soldat était en train de violer une fille sur le coin d’une charrette ; un de ses camarades voulut prendre sa place sur la fille qui se débattait et la tua d’un coup de pistolet… Quand les soldats faisaient main basse sur une femme, ils prenaient leur plaisir sur elle, puis ils la tuaient ; quelquefois ils se servirent de femmes mortes… Les soldats qui s’étaient répandus dans les maisons en tiraient les cadavres des femmes et des filles des brigands qu’ils avaient violées ; ils les portaient toutes nues dans les places ou dans les rues ; celles qui s’enfuyaient étaient aussi amenées dans ces mêmes endroits où elles étaient entassées et égorgées sur le champ à coups de fusil, à coups de baïonnettes ou à coups de sabre. On les déshabillait ensuite toutes nues et on les étendait sur le dos, les jambes écartées, les pieds rapprochés du corps de manière que les jambes fussent pliées… et les genoux en l’air ; on appelait cela « mettre en batterie »… Le principal massacre se faisait à la porte même de la maison qu’avaient choisi ces représentants ; c’était une véritable boucherie ; les femmes y étaient entassées les unes sur les autres par tas, sur lesquels on faisait des feux de peloton continuels parce que ces femmes se jetant les unes sous les autres pour éviter la mort, il n’y avait que celles qui étaient dessus à recevoir les coups de feu. Ayant été obligé d’aller chez le général en chef, je lui dis le danger qu’il y avait que dans un pareil moment, fait avec si peu de discernement, on n’immolât beaucoup de patriotes. Le général ne trouva pas d’autre moyen pour arrêter le carnage que de faire battre la générale… Toute la route du Mans jusqu’à cinq ou six lieues de Laval est couverte de brigands ; les paysans ont fait une battue générale dans les bois et dans les fermes, et en ont plus massacré que nous n’en avons tué nous-mêmes. J’en ai vu sur le bord d’un chemin… à cinq ou six lieues du Mans, une centaine qui étaient tous nus et entassés les uns sur les autres, à peu près comme des cochons qu’on aurait voulu saler… J’ai pensé, mon cher ami, que ces détails vous feraient d’autant plus plaisir que vous m’avez, dans votre dernière lettre, manifesté le désir de ne rien perdre de tout ce qui a trait au succès de nos armes. Je vous embrasse de tout cœur. Signé Benaben… »

L’honnêteté m’oblige cependant à dire que le général Marceau et quelques autres généraux ou officiers républicains tentèrent d’arrêter les massacres et sauvèrent ainsi quelques vies.

Quel est le bilan de la bataille du Mans ? Les témoins parlent de 10 000 et 20 000 Vendéens tués, tant durant les combats qu’après la bataille (4). Le 14 décembre, le sans-culotte Blavette estime le nombre des morts vendéens à 4 000 « tués en combattant ou fusillés après le combats ». Le 14 encore, le correspondant de Saint-Maixent écrit que les rebelles ont eu de 9 000 à 10 000 morts. Le lendemain, il ajoute que « 500 prisonniers vont être fusillés » et que, sur la route de Laval, « il y avait une plus grande quantité de cadavres que dans Le Mans même » (5).

Ce qui survit et arrive à s’échapper est massacré à Savenay après dix jours de fuite éperdue et de combat. Westermann, très fier de lui, pourra faire à la Convention l’envolée en tête de cet article.

Sa tête finira dans le panier du « rasoir national » juste après celle de Danton, juste avant celle de Robespierre, car il était jugé trop modéré par le Comité de Salut Public ; on croit rêver !

Après la défaite de Savenay, des commissions militaires parcourent le pays : on fusille sans jugement. À Nantes, sous l’autorité de Carrier, on coule des pontons sur lesquels sont entassés des prêtres réfractaires et des « brigands ». On dénombre plus de 5 000 victimes. Mais ce traitement est presque humain : ailleurs, des femmes sont fondues vives pour en tirer une graisse médicinale.

Près d’Angers fonctionne une tannerie de peaux de Vendéens. Il est bien vu, chez certains officiers républicains, de porter une culotte en peau de Vendéen (6). On pratique aussi – ça amuse beaucoup la troupe – les « mariages républicains » : ce supplice consiste à noyer un couple, attachés nus l’un à l’autre et jetés dans la Loire. Quand Carrier est rappelé à Paris, la Terreur est appliquée par le général Turreau de Linières. Il crée 12 « colonnes infernales » qui font de la Vendée « un monceau de cendres arrosé de sang ». La Convention veut détruire tout ce qui vit encore en Vendée.

L’historien Max Gallo, homme de gauche mais qui, dans ses livres, fait preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, pense que les pertes vendéennes seraient de l’ordre de 120 000 morts (7), mais Jean-François Chiappe, Reynald Secher (8) et quelques autres, sont assez unanimes sur le chiffre de 300 000 morts. Rapportés à la population de la Vendée d’alors – la « Vendée militaire » comptait cinq départements – on peut légitimement qualifier ces massacres de « génocide vendéen ».

De nos jours, pas un historien ne sait (ou ne veut ?) chiffrer le coût en vies humaines, de la Révolution et de la Terreur. Mais de nombreux auteurs y voient « un mal nécessaire  pour régénérer la nation » : c’est la même argutie abjecte que celle de Staline, de Mao Zedong, de Pol Pot et ses « Khmers rouges ». Les criminels absolvent, excusent et légitiment toujours leurs crimes !

Pourquoi les livres d’histoire ne parlent-ils pas de ces horreurs ? A-t-on peur que nos enfants se prennent à regretter l’époque ou des monarques de droit divin ont fait la grandeur de leur pays ?

Eric  de Verdelhan

Date de dernière mise à jour : 12/12/2024

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