Il y a 90 ans, jour pour jour, Paris est en ébullition, Paris est en feu, Paris est en révolte. La place de la Concorde et les rues attenantes sont jonchées de débris, de pavés et même de sang. On entend parler de dizaines de morts, de centaines de blessés, de complots contre la République et de corruption gangrenant la France. Mais comment est-on arrivé à cette situation, ce 6 février 1934, à Paris ?
L’affaire Stavisky
Revenons un mois avant, alors que l’année 1934 commence à peine et que le gouvernement de la gauche radicale mené par Camille Chautemps est bousculé par le scandale de l’affaire Stavisky. En effet, le principal intéressé de cette histoire, Alexandre Stavisky, escroc ayant réussi à détourner plusieurs millions de francs, est découvert mort chez lui. Si la police met en avant la thèse du suicide, l’opinion publique et les médias ont une autre vision des choses. Ainsi, Le Canard enchaîné titre « Stavisky se suicide d'un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant ». Mais pourquoi cette remise en cause de la version de la police ? Après enquête, il est découvert que le « suicidé » avait,en réalité, de nombreuses relations avec le gouvernement en place, qu’il avait bénéficié de pas moins de dix-neuf reports de son procès alors que le parquet est dirigé par un certain Georges Pressard, beau-frère de Camille Chautemps. Dans ce cas, le crime supposé de Stavisky ne pouvait profiter qu’aux fameux corrompus du gouvernement ayant fait assassiner leur complice pour qu’ils ne puissent pas être inquiétés à leur tour.
La goutte d’eau qui fait déborder le vase
Les partis d’opposition, la droite monarchiste et l’extrême droite, par opportunité ou par réelle conviction, accusent le gouvernement mais aussi la République de n’être qu’un régime de corrompus et de voleurs. S’ensuivent alors dans Paris de nombreuses manifestations. Avec la participation du Parti communiste souhaitant la fin de ce gouvernement de sociaux-traîtres. La goutte d’eau faisant déborder le vase finit par se produire lorsque certaines mutations sont opérées pour éloigner des personnalités politiques comme le préfet de police Jean Chiappe ou le général Weygand sous prétexte qu’ils seraient liés à l’affaire Stavisky. Pour certains, c’est le « signal d’une Saint-Barthélemy des patriotes », comme le proclamait Camille Desmoulins en 1789. Philippe Henriot, dans son livre Le 6 février, témoigne que le groupe des Jeunesses patriotes annonce dans tout Paris que « par un véritable coup de force, […] le Gouvernement sacrifie aux injonctions communistes le préfet de police Jean Chiappe. Demain, cédant à la pression de l’Allemagne, un des organisateurs de la victoire sera mis dans l’obligation de partir : le général Weygand. Une formidable hécatombe se prépare dans l’armée, dans la magistrature, à tous les degrés de l’administration vont être frappés ceux qui ont donné des preuves de leur indépendance et de leur patriotisme. Le régime des fiches va renaître ! Le délit d’opinion est rétabli. […] l’opinion publique doit se manifester avec force. Le peuple doit clamer sa volonté. »
Le « Grand Soir » de l’extrême droite
Le peuple ne va pas attendre pour faire entendre sa voix. Ainsi, au soir du 6 février, des dizaines de milliers de manifestants parcourent Paris afin de clamer leur colère. Les plus déterminés et les plus fanatiques décident de se diriger vers la place de la Concorde afin de prendre d’assaut le palais Bourbon et mettre fin à ce régime parlementaire corrompu. Face à eux, les forces de l'ordre font barrage à une marée humaine de plus en plus menaçante. Dans cette atmosphère prête à s’enflammer à la moindre étincelle, difficile de dire qui a tiré le premier entre les deux camps. De nombreux et violents combats éclatent. Au terme d’une nuit de révolte, de chaos, d’incendies et d’affrontements entre les émeutiers et les forces de l’ordre, on dénombre 12 morts par balle et 657 blessés parmi les manifestants et 1 mort et 1.664 blessés au sein des forces de l’ordre : une véritable hécatombe.
La République ne sort pas indemne de cette journée durant laquelle elle a failli disparaître. La confiance dans le gouvernement et le régime républicain est affaiblie. Ce tournant politique annonce l'arrivée au pouvoir d’un homme, le maréchal Pétain, dont l’ascension jusqu’à la tête de l’État en 1940 marquera définitivement la fin de cette IIIe République agonisante.