Alors que vient de se clôturer le 106ᵉ congrès des maires et des présidents d’intercommunalités de France, cet événement nous replonge dans l’histoire de la IIIe République. Ainsi, le 22 septembre 1900, au cœur de l’Exposition universelle, la République célébrait ses maires lors d’un moment historique : le Banquet des Tuileries. Cet instant exceptionnel incarnait alors l’union nationale et rendait hommage à ces élus, garants de la démocratie sur tous les territoires de France.
Une République consolidée et reconnaissante
À l’aube du XXᵉ siècle, la IIIe République, après avoir succédé au Second Empire et aux turbulences de la Commune de Paris, s’affirme comme un régime stable et fort. Ainsi, trente ans après sa proclamation, elle doit en grande partie sa réussite grâce à la figure du maire. Ce dernier, présent dans chaque commune, même les plus reculées de notre beau pays, incarne la République au quotidien, en étant à la fois le relais de l’État et le représentant des citoyens. C’est dans ce contexte qu’Émile Loubet, président de la République depuis février 1899 et qui avait été maire de Montélimar de 1878 à 1899, décide d’organiser le 22 septembre 1900 un grand rassemblement des maires à Paris. Ce banquet marque alors une reconnaissance nationale pour leur rôle essentiel et sacralisé lors du discours du chef de l’État :
« Cette imposante assemblée est autre chose qu’un ralliement de combat. Nationale par le nombre et le caractère de ses membres, elle est nationale aussi par les sentiments qu'il anime et par son objet. Profondément attachés aux communes qui vous ont élu, mais plus attachés encore à la grande patrie, vous savez que le meilleur moyen de faire respecter l'autorité qui est en vous, c’est de donner l'exemple de la déférence due à l'autorité qui est au-dessus de vous. Loyalement, vous êtes venus nous renouveler l'assurance d'un concours sincère pour l'œuvre d'apaisement et de progrès que la volonté des représentants du pays nous a confiée. Cette œuvre domine des querelles passagères que l'exercice de la liberté rend inévitable ; elle réclame parfois le sacrifice d'intérêt et de sentiments individuels ; il faut qu'elle réunisse tous les bons citoyens dans la poursuite d'un triple idéal, idéal de concorde, idéal de justice, idéal d'honneur pour le nom français. Quand vous serez rentrés dans vos communes, […] dites que nous restons fidèles à l'esprit de la Révolution parce que notre patriotisme est égal à notre amour de la République et que nous voulons la France libre, forte, glorieuse, unie au dedans sous le règne de la Loi et du Droit, respectée au dehors pour son génie, pour la puissance de ses armes, pour son amour sincère de la paix. […] Dites enfin, dites surtout […] que notre plus chère espérance est de voir tous les Français fraternellement unis dans un même amour de la Patrie et de la République ».
Ces paroles peuvent encore résonner aujourd’hui dans nos cœurs, en rappelant l’importance d’une démocratie locale et solide agissant au nom du bien commun.
Une logistique spectaculaire au service d’un événement historique
Au-delà des discours, l’organisation de ce rassemblement des maires de France est également un défi colossal dont chaque aspect est choisi avec soin. Ainsi, la date du 22 septembre 1900 est préférée par le président de la République afin de correspondre au 108e anniversaire de l’abolition de la monarchie, à la proclamation de la Ière République en 1792 ainsi qu’à la victoire de Valmy. Selon le consul Adolphe Démy, Emile Loubet l’aurait justifié ainsi : « Lorsqu'ils proclamèrent la République, ils voulaient organiser la défense nationale en même temps que la démocratie, de sorte qu'ils nous ont donné l'exemple du courage sous ses deux plus belles formes, et que cet anniversaire est la fête du patriotisme autant que la fête de la liberté ».
Le lieu retenu du banquet est tout aussi chargé de sens. En effet, c’est au cœur même du jardins des Tuileries, là où autrefois se dressait l’ultime demeure de Louis XVI, que furent installées les tentes chargées d’accueillir les milliers d’invités. L’importance de cet évènement nous pousse également à nous intéresser aux chiffres fous de cet instant d’exception pour lequel la République ne lésine pas sur les moyens. En effet, afin de faire de cette soirée un souvenir inoubliable pour les 22 278 invités, il ne fallut pas moins de 125 000 assiettes, 126 000 verres, 55 000 fourchettes et cuillères, 60 000 couteaux sans parler des kilomètres de nappes et de molletons. Un menu d’exception est aussi préparé pour satisfaire les papilles des milliers de maires venus goûter aux plaisirs de la gastronomie française. C’est ainsi des darnes de saumon glacées parisienne, des filet de bœuf en Bellevue, des pains de canetons de Rouen, des poulardes de Bresse rôties, des ballotines de faisans Saint-Hubert, des salades Potel accompagnés de glaces et de desserts qui sont proposés aux milliers de convives. Ces derniers peuvent aussi se désaltérer, avec bonheur et ivresse, grâce à l'une de nos plus grandes richesses nationales : le vin. C’est ainsi plus de 39 000 bouteilles de Saint-Julien, de Sauternes ou encore de champagne qui furent versés dans les coupes et les verres de nos chers élus qui repartirent dans leurs communes le ventre plein et l’esprit fidèle à la République !
Le Banquet des Tuileries demeure ainsi une illustration éclatante de l’esprit républicain au tournant du XXᵉ siècle. En cette soirée organisée avec un soin méticuleux et une grandeur inédite, la IIIe République célébrait non seulement les acteurs clés de la démocratie locale, mais aussi l’unité nationale et les valeurs fondatrices de la République. Plus d’un siècle plus tard, cet événement nous rappelle le rôle central des élus locaux dans la construction ainsi que le maintien du lien et de l’ordre républicain.
Eric de Mascureau