Il y a Emmanuel et il y a Macron. Lequel des deux faut-il croire ? L’homme qui, ce lundi, inaugure la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, dans les Hauts-de-France ? Ou celui qui prétendait, lors de sa campagne présidentielle de 2017, « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse » ?
Le choix de cette ville n’a rien d’anodin. Hormis le fait qu’elle a accueilli François Rabelais et que Molière y a présenté Tartuffe, pièce qui, aujourd’hui, n’a rien perdu de son actualité, elle est aussi celle où le français est devenu langue officielle du royaume. François Ier, en 1539, exigea que tous les documents administratifs de la France soient rédigés en français et non plus en latin. Fort bien.
Une muséification du français ?
Mais aujourd'hui, plusieurs questions se posent. D'abord, est-ce bien opportun d’ainsi muséifier le français en de vieilles pierres, même si le château local ne s’en portera que mieux, après 210 millions d’euros de rénovation, budget à peine inférieur à celui de Notre-Dame de Paris ? Le génie de notre langue consiste à perpétuellement se réinventer. La tradition est une statue qui marche de l’avant.
Ensuite, le Président de la « start up nation », du « Choose France » et de la « French tech » est-il le plus à même de défendre notre langue ? Ce n’est pas l’avis de l’académicien Jean-Marie Rouart qui, dans une tribune publiée dans Le Figaro du 23 octobre, stigmatise Emmanuel Macron, qualifié de « tartuffe de la langue française à Villers-Cotterêts City »…
Ironie du sort, le maire de cette ville n’est autre que Franck Briffaut (RN) qui, lui, se félicite bien sûr de cette entreprise. Cité par Le Parisien du 29 octobre, il affirme : « Ce projet redore ma ville et, pour le Président, cela montre qu’il ne pense pas uniquement à la métropole parisienne. » Il est vrai que les commerçants locaux se frottent les mains à l’avance, ce dont on ne saurait les blâmer. Pas plus que cet édile pensant avant tout au bien-être de ses concitoyens.
Au centre de toutes les attentions : l'écriture inclusive
Emmanuel Macron, inaugurant le musée, s'est paré des habits neufs du père de la patrie : « La langue française bâtit l’unité de la nation, a-t-il lancé. C’est une langue de liberté et d’universalisme. […] À un moment où les divisions reviennent, les haines ressurgissent, la langue française est un ciment. […] La langue française nous rassemble, dans notre unité et notre diversité. » Au-delà du verbiage de circonstance, il affirme vouloir « garder les fondements et les socles de la grammaire sans céder aux airs du temps ». En ligne de mire, l’écriture inclusive, donc, tout en se gardant bien, en même temps, de mettre un nom sur la chose.
La concordance du calendrier est, à cet égard, des plus troublantes. Alors qu’il fait mine de sanctuariser la langue française, le Sénat discute, le même jour, de ce volapük de plus en plus intrusif : cette même écriture inclusive. Les sénateurs proposent de « protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive ». Ainsi, il serait aussi prévu que cette écriture soit bannie des textes administratifs, ceux de l’Éducation nationale en particulier. Le gag, c’est qu’elle l’est déjà, son ancien ministre de tutelle, Jean-Michel Blanquer l’ayant prohibée ; même si elle continue d’y être plus ou moins la règle. Le texte est porté par la droite, mais la gauche le tient pour « inconstitutionnel, réactionnaire et rétrograde ».
Voilà qui rappelle une autre polémique relative à la théorie du genre, elle aussi enseignée à l’école. Najat Vallaud-Belkacem, prédécesseur de Jean-Michel Blanquer, ne voyait pas la nécessité de son interdiction, puisque la théorie du genre n’existait pas. Bref, c’est le mammouth qui se mord la queue, et ceci n’est pas une pipe, comme aurait dit le peintre René Magritte.
Emmanuel Macron ? « Un oxymore ambulant » !
Si le texte en question a toutes les chances de passer au Sénat, rien ne dit qu’il soit ensuite adopté à l’Assemblée nationale, car les députés macronistes y feront probablement obstacle. Ce que confirme à BV le député lepéniste Roger Chudeau : « Le 12 octobre dernier, nos collègues macronistes ont voté contre notre proposition visant à bannir l’écriture inclusive. Pourtant, il y a urgence. Son interdiction par Jean-Michel Blanquer n’était qu’une circulaire. Autant dire qu’elle n’avait pas force de loi. En attendant, ce cancer de la langue française se propage partout, dans nos administrations et dans nos universités, Sciences Po au premier chef. » Ce Président très porté sur le « franglish » arrive ainsi à défendre la langue de Vaugelas tout en combattant une écriture inclusive que défend son propre parti... !
Et Roger Chudeau d'ajouter : « Emmanuel Macron est un oxymore ambulant. Il y a chez lui le verbe, mais pas la pensée. » Assez emblématique de cette République en marche, bien connue pour tourner en rond tout en marchant à contresens.
Nicolas Gauthier