Loin d’être un livre muri de longue date, Mein Kampf est le fruit ô combien vénéneux de circonstances exceptionnelles. Il naît dans la prison de Landsberg, à 65 kilomètres de Munich, en 1924. Adolf Hitler y est emprisonné à la suite de son putsch manqué de novembre 1923 à la brasserie Bürgerbräukeller de Munich.
Un « paresseux chronique »
À cette date, près de dix ans avant son accession à la tête de l’Allemagne, Adolf Hitler était devenu le chef de l’un des groupuscules d’extrême-droite agitant alors le pays : le NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterparti). Ce paresseux chronique, pour lors âgé de 34 ans, avait mené une existence proche du vagabondage, se pénétrant de l’idéologie germanique Völkisch : un nationalisme radical se fondant sur le dogme d’une race supérieure et de son antithèse, celle du Juif.
Pour sa défense, Hitler a préparé dans sa prison (où il est fort bien traité) un mémoire pompeusement intitulé : Quatre années de combat contre les mensonges, la sottise et la lâcheté. Au terme d’un procès inique qui ne le condamne qu’à cinq ans de détention, avec espoir de libération anticipée et refus du tribunal de le faire expulser à sa sortie (il est Autrichien), il entreprend alors de transformer son mémoire en un ouvrage d’envergure : Mein Kampf (« Mon Combat » en français).
On ne sait pas qui a eu l’idée de ce titre, de Hitler lui-même ou de sa petite cour de codétenus du putsch qui l’entoure et l’encourage à travailler. De même les historiens se chamaillent aujourd’hui encore de savoir si Hitler a laborieusement tapé son manuscrit à la machine ou s’il l’a dicté, notamment à Rudolf Hess, son fidèle de toujours.
Si l’on considère l’éternel homme de verbe, pérorant sans cesse et n’écrivant guère (pas plus qu’il ne travaille), l’hypothèse de la dictée l’emporte. Et quelle dictée ! Un flot de paroles à la limite de l’incohérence, des digressions, des redites qui longtemps vont masquer à l’Histoire un contenu très clair au contraire.
Que dit Mein Kampf ? La première édition allemande date de 1925, avec un premier tome suivi d’un second l’année suivante. La première édition complète date de 1930 et ne compte pas moins de 782 pages en caractères serrés. L’ouvrage n’est guère lisible au point qu’il va devenir une blague très privée entre dignitaires nazis : à l’amende celui qui essaiera de faire croire qu’il a lu Mein Kampf !
Tout cependant, du nazisme et de l’hitlérisme, y est. La race et le sang d’abord, une doctrine pseudo-scientifique du « racialisme » (pour traduire à peu près le terme Völkisch ). Ces mots reviennent sans cesse : « La communauté, la pureté, la noblesse de sang ».
Une race supérieure, celle de l’Aryen, peuple mythique par excellence, dont Hitler ne dit pas grand chose et pour cause. Il a beaucoup à dire en revanche sur le Juif : « L’histoire établit avec une clarté effroyable que lorsque l’Aryen a mélangé son sang avec celui des peuples inférieurs, le résultat de ce métissage a été la ruine du peuple civilisateur ».
Car le voilà le peuple empoisonneur : le Juif dont la race n’est pas seulement inférieure mais l’anti race, la race corruptrice, la race ennemie. Le terme de Juif (et de Juiverie) est celui qui revient le plus souvent dans Mein Kampf : 466 fois.
On est frappé par le vocabulaire sans retenue : le Juif est tour à tour une araignée qui suce le sang du peuple, un rat, un bacille sensible de la pire espèce. Hitler ne s’adresse pas à l’intelligence mais aux instincts primaires, tout comme dans ses discours passés et à venir.
Dès lors, il ne s’agit plus de combattre les Juifs de façon livresque, comme dans la tradition Völkisch mais de les faire disparaître. L’antisémitisme de Hitler est un antisémitisme de combat. « Il est sûr que notre monde s’achemine vers une révolution radicale. Toute la question est de savoir si elle se fera pour le salut de l’humanité aryenne ou pour le profit de l’éternel Juif ».
Une lutte impitoyable commence au terme de laquelle le fort l’emportera sur le faible. Dans cette lutte cosmique, le Juif est l’ennemi racial absolu, l’ennemi de tous les temps qui avance masqué, complotant et agissant pour asservir l’humanité. « Avec les Juifs, il n’y a pas compromis possible, mais seulement l’implacable eux ou nous ! »
Exiger l'impossible
Un état racialiste reposant sur la communauté de sang, antilibéral, antiparlementaire, antimarxiste, antibourgeois, anti égalitaire, antipartis. Un chef visionnaire ne pratiquant pas la politique traditionnelle du possible mais exigeant au contraire l’impossible, sacrifiant s’il le faut le présent à la postérité. Un Reich idéaliste partant à la conquête du monde… Claude Quétel