Écharpé par les critiques et les historiens, le Napoléon de Ridley Scott prend de grandes libertés avec son sujet, en particulier en ce qui concerne les relations de l’empereur Napoléon Ier avec sa première épouse, Joséphine de Beauharnais, que le réalisateur place au centre de son intrigue. Trop souvent au mépris de la vérité factuelle…
L’extraordinaire destin de Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie s’est révélé un certain jour, aux Trois-Ilets, à la Martinique, lorsque la jeune Créole (née en 1763) entre dans le lahoui de la devineresse caraïbe Éliama pour connaître son avenir. "Tu te marieras bientôt, murmura la voyante. Cette union ne sera pas heureuse, tu deviendras veuve et alors... tu seras plus que reine."
En 1779, Rose convole en effet avec le vicomte Alexandre de Beauharnais, qui lui donne deux enfants, Eugène et Hortense, avant d’être guillotiné sous la Terreur. Emprisonnée elle aussi, la ci-devant vicomtesse est libérée en thermidor. Ruinée, elle ne tarde pas à rétablir sa fortune en jouant de ses charmes. Elle devient ainsi l'une des égéries de la Convention puis du Directoire, passant des bras de Hoche, à ceux de Caulaincourt et surtout de Barras, "le roi des pourris".
Napoléon est vite ensorcelé par "l'incomparable Joséphine"
Avec une remarquable prescience, elle discerne les atouts de Bonaparte. Maigre, les cheveux longs, le petit "général Vendémiaire" n’est pas vraiment séduisant. Aussi l’affuble-t-elle du sobriquet de "Chat botté" ! Ébloui par le luxe de cette aventurière de haut vol, Napoléon est vite ensorcelé. À ses yeux, elle sera "l'incomparable Joséphine", car il répugne à employer son prénom de Rose, souillé par trop de lèvres masculines.
Le 8 mars 1796, le couple se marie civilement à l'hôtel de Mondragon, siège du 2e arrondissement ancien de Paris. Presque aussitôt, le général Bonaparte est envoyé en Italie, où il cueille ses premiers lauriers. Rentré à Paris... c’est pour constater que Joséphine l’a trompé outrageusement ! Peu importe au fond, car d’autres conquêtes lui occupent déjà l’esprit. Il part conquérir l’Égypte, avant de donner le coup de grâce au Directoire, régime honni et corrompu. Les 18 et 19 brumaire an VIII – 9 et 10 novembre 1799 – Bonaparte contraint les directeurs à la démission, puis il dissout les deux conseils législatifs, réunis sur son ordre au château de Saint-Cloud, et instaure le Consulat.
Pour en finir avec la Révolution, la bourgeoisie s’est choisie un sauveur, un dictateur de salut public. En quelques années, Bonaparte va pacifier le pays et rétablir l’ordre, au sortir d’une décennie de troubles. Le 15 mars 1804, un sénatus-consulte lui confie le gouvernement de la république avec le titre d’"Empereur des Français". Cette dignité sera "héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance". S’il n’a pas d’enfants, Napoléon pourra adopter ceux de ses frères. Enfin, en l’absence d’héritier naturel, légitime ou adoptif, le sceptre passerait dans la lignée de Joseph Bonaparte, puis dans celle de Louis.
"Elle a embelli quinze ans de ma vie..."
Le 2 décembre 1804, à Notre-Dame de Paris, en présence du pape Pie VII, le nouveau monarque se pose lui-même sur la tête la couronne dite de Charlemagne, avant de couronner Joséphine. L’épopée impériale va durer dix années à peine. Durant lesquelles Napoléon bouleversera la carte de l’Europe et forgera sa légende. Mais les années passent et l’impératrice ne lui donne toujours pas d’héritier…
En octobre 1809, l’empereur regagne la France après avoir triomphé de l'Autriche. Sa décision est prise. Il doit quitter Joséphine pour épouser une princesse de sang royal, et s'assurer ainsi une descendance. Le jeudi 30 novembre, après le dîner, il annonce à l'impératrice sa volonté de divorcer dans le grand cabinet des Tuileries, en présence de l'archichancelier Cambacérès et de Regnault de Saint-Jean d'Angély, secrétaire d'État de la famille impériale, ainsi que des membres du clan Bonaparte.
Napoléon prononce quelques paroles émouvantes : "Dieu sait combien une pareille résolution a coûté à mon coeur. Mais il n'est aucun sacrifice qui soit au-dessus de mon courage lorsqu'il m'est démontré qu'il est utile au bien de la France..." Puis il rend hommage à son épouse : "Elle a embelli quinze ans de ma vie ; le souvenir en restera toujours gravé dans mon coeur..." Il se souviendra, à Sainte-Hélène : "Je lui fis comprendre qu'il n'y avait aucune solidité dans ma dynastie si je n'avais pas d'enfant. Tu as les tiens, mais quand je t'ai épousée, tu n'étais plus capable d'en faire... Il n'est point juste que tu me prives de ce que désirent tous les hommes. Ne cherche pas à m'émouvoir. Je t'aime toujours, mais la politique n'a pas de coeur, elle n'a que de la tête." "L'Empereur aura toujours en moi sa meilleure amie", répond Joséphine, magnanime… Après avoir feint l'évanouissement, la malheureuse est portée dans sa chambre.
Joséphine, répudiée, conserve le titre d'"impératrice-reine couronnée"
Le divorce ? Il a été inventé "à la même date, à peu près, que le mariage", plaisantait Voltaire. C'est le 20 septembre 1792 - la veille de l'abolition de la monarchie -, que l'Assemblée législative a voté une loi l’autorisant, comme "conséquence nécessaire de la liberté individuelle". Napoléon Ier sera le seul – et le dernier – souverain français a en profiter. Encore préserve-t-il les apparences d'une déclaration de nullité pour vice de forme. L'acte du mariage civil n'aurait pas été valide, car l'un des témoins à la cérémonie, l'aide de camp Le Marois, n'avait alors que 19 ans. Les époux avaient d’ailleurs triché l’un et l’autre sur leurs âges respectifs !
Par sénatus-consulte du 16 décembre 1809, l'union est donc déclarée dissoute, mais Joséphine, quoique répudiée, conserve le titre d'"impératrice-reine couronnée". Le 10 janvier suivant, l'empereur obtient aussi facilement l'annulation de son mariage religieux par l'officialité métropolitaine de Paris. Le curé de la paroisse était en effet absent à la bénédiction, donnée la veille du sacre... par le pape Pie VII.
Le 2 mai 1810, au faîte de sa puissance, Napoléon Ier épouse Marie-Louise de Habsbourg, fille de l’empereur François Ier. Le 20 mars de l’année suivante, voit enfin le jour l’héritier si longtemps attendu : Napoléon François Charles Joseph Bonaparte, prince impérial, titré aussitôt roi de Rome.
Entretemps, Joséphine s’est installée au château de la Malmaison, à l’ouest de Paris, qui lui appartient depuis 1799. S’il a voulu sauvegarder les apparences, l’empereur a néanmoins fortement diminué le train de maison de son ex-épouse, ne lui accordant qu'une dotation de 2 millions de francs par an.
Bon prince, Napoléon éponge ses dettes, la sauvant de la faillite
Avec l’arrivée de l’archiduchesse Marie-Louise, au printemps de 1810, Joséphine est reléguée à Navarre, près d’Évreux. Ce château a la réputation d’être le plus laid de France. Dans l’Eure, on le surnomme la "Marmite" ! De plus, il est humide et mal meublé. Heureusement, ce premier séjour ne dépassera pas six semaines. Dès le 15 mai, Joséphine regagne la Malmaison, puis elle part pour Aix-les-Bains et la Suisse.
Joséphine, avec sa cour dérisoire, traîne une existence vaine et monotone. Lors de ses séjours à Navarre, les distractions se limitent au tric-trac, au billard et à un peu de musique. De temps à autre, un bal à la préfecture ou à la mairie d’Évreux semble un événement considérable. L'ex-impératrice, qui préfère les charmes de La Malmaison, n’en demeure pas moins dépensière et extrêmement coquette, même si elle a perdu très tôt toutes ses dents ! Bon prince, Napoléon apure à plusieurs reprises ses comptes, la sauvant cinq ou six fois de la faillite.
L’empereur a déjà abdiqué pour la première fois lorsque "l'incomparable Joséphine" est emportée par une pneumonie, compliquée d’une "angine gangréneuse", le 29 mai 1814, à la Malmaison, âgée de seulement 50 ans. Ses descendants règnent aujourd’hui encore en Norvège, en Suède, en Belgique et au Luxembourg…