Cinq après « Le Consentement », l’écrivaine revient en librairie avec un nouveau récit très personnel sur fond de Troisième Reich, qui ne manque toutefois pas de touches d’humour.
LITTÉRATURE - Plus de 380 000 exemplaires et 700 000 entrées au cinéma plus tard, Vanessa Springora est de retour en librairie. L’écrivaine publie chez Grasset son nouveau roman Patronyme ce jeudi 2 janvier. Le premier depuis la parution en 2020 du Consentement, livre choc dans lequel elle décrivait l’emprise de Gabriel Matzneff sur elle enfant.
Ce deuxième récit très personnel prend la suite du précédent. Nous sommes en pleine promo de ce qui va être un best-seller quand, dans une course de taxi, elle reçoit un coup de fil. C’est la police. Son père, avec qui elle a coupé les ponts il y a longtemps, est mort. Vanessa Springora annule sa venue à La Grande Librairie, elle doit confirmer son identité.
Arrivée sur place, elle n’a aucun doute : c’est bien lui. Sans tarder, l’autrice - seule « héritière » de ce père mythomane dont elle ne connaissait pas grand-chose - s’arme de sacs-poubelle et s’affaire au rangement du petit deux-pièces, transformé en taudis depuis la disparition de sa grand-mère, ancienne propriétaire des lieux.
Une « fête foraine lugubre »
Et là, cachés dans l’interstice d’un bras du canapé et de la bibliothèque, deux godemichés lui sautent aux yeux. Première surprise. La seconde se trouve dans la cuisine, où deux gros cartons sont entassés. Intriguée, Vanessa Springora les ouvre. À l’intérieur, plusieurs albums de photos pornos montrant des hommes en train d’exhiber leur anatomie.
Son père était-il homosexuel ? Et si oui, pourquoi n’a-t-il jamais accepté son orientation ? Alors qu’elle pousse la porte de la chambre pensant trouver des réponses, l’écrivaine vit de plein fouet un nouvel électrochoc. En cause, une photo de son grand-père, en 1944. Il porte une tenue d’escrime, avec sur l’épaule droite deux symboles : l’aigle impérial nazi et la lettre « S » entourée.
« J’ai l’impression d’être entrée dans une dimension parallèle, de m’être perdue dans une fête foraine lugubre, de passer des montagnes russes au train fantôme », écrit Vanessa Springora dans son livre, avant d’entamer son récit-enquête sur ces origines familiales cachées. De qui est-elle la fille et la petite-fille ? De quoi Springora est-il le nom ?
Comme des poupées gigognes, ces éléments mystérieux plantent le décor. Rien de tout ça n’est une blague. Non, ce n’est pas drôle. Et pourtant, sans perdre le sérieux du sujet, l’autrice nous plonge avec elle dans l’antre du Troisième Reich à sa manière, c’est-à-dire distillant ici et là ses petites touches d’humour.
Vanessa Springora fait des apartés
Son arrivée ratée lors d’un voyage dans le petit village tchèque de ses aïeux - trois heures avant de pouvoir prendre s’installer dans sa chambre d’hôtel - peut en témoigner. On est dimanche, tout est fermé. Pas de bol, il va falloir patienter. La manière dont elle a bien failli ne jamais descendre de son train, aussi. « Sur un quai, j’aperçois enfin un panneau d’affichage portant le mot “Východ”. Me voilà rassurée, ce n’est pas encore mon arrêt, écrit-elle. Mais la station suivante, encore un “Východ”. Toutes les villes portent donc le même nom ? Je tape “Východ” sur mon traducteur en ligne et découvre, penaude, que ce mot signifie “Sortie”. »
Vanessa Springora n’est pas enquêtrice au FBI, et ironise sur ses propres compétences informatiques (dont sa fâcheuse manie à ne pas chercher les bons mots-clés sur Google). Elle blague sur sa consommation de cigarettes - qu’elle dit minimiser face aux « blouses blanches » comme son grand-père - ou sur sa nouvelle « berceuse » : des vociférations d’Adolf Hitler.
En pleine discussion, on la voit se tourner vers le lecteur. « Méfiez-vous de vos enfants, même si vous êtes divorcés, ils vous colleront dans le même caveau que votre ex », charrie l’autrice, après qu’une grand-tante lui a dit avoir enterré ses deux parents ensemble, pourtant séparés bien avant qu’ils ne meurent.
Les nazis moqués
En prime : les nazis en prennent pour leur grade. Elle nous rappelle les JO de Berlin en 1936, au cours desquels un athlète afro-américain du nom de Jesse Owens a remporté quatre médailles, alors même que Hitler espérait y démontrer la supériorité de la race aryenne. « Pas de chance », blague Vanessa Springora.
Plus loin dans le livre, il est question du jour où des ouvriers ont démonté par erreur sur ordre de Goebbels la statue de Richard Wagner du Parlement tchèque pensant retirer celle de Felix Mendelssohn, compositeur allemand d’origine juive. Sans les noms inscrits sur les socles, ils se seraient fiés… à la taille du nez. « Sur l’ineptie de l’antisémitisme, je n’ai rien lu de plus drôle », nous partage l’autrice.
Une manière de rendre la gravité de la situation plus légère ? Sans doute. Patronyme n’est pas non plus un recueil de blagues. C’est une histoire intime de non-dits, mais aussi de filiation, dont les réflexions autour du « nom » dépassent le cadre de la famille Springora. Elles renvoient à des spectres de l’Histoire, qui continuent de façonner le présent. Parfois, pour le pire.
Valentin Etancelin journaliste