La galanterie en voie de disparition
Offrir des fleurs, inviter une femme au restaurant… « Peut-on encore être galant ? » A l’heure de #MeToo, la question est pertinente et Jennifer Tamas, professeur américaine spécialisée ès lettres françaises, la pose sans ambages dans son livre Peut-on encore être galant ? (Seuil, 72 pages, 4,90 €). Mais en faisant de la galanterie « un mythe franco-français » faussé par le « regard masculin » - tels sont ses mots dans un entretien au Monde -, elle semble s’ôter les moyens d’y répondre.
Sa thèse : la galanterie est une issue trouvée par la société au XVIIe siècle pour résoudre les violences qui la traversent, en privilégiant « le débat d’idées et le respect conversationnel ». Parties prenantes, les femmes y trouvent enfin un avenir autre que « le couvent, le mariage ou la prostitution » - sic, simplification à usage médiatique ou conviction, de la part de Jennifer Tamas ? Puis la galanterie devient un truc de mecs, suivant un prisme féministe de strict obédience : « L’instrumentalisation d’une arme d’émancipation des femmes contre les femmes est un ressort classique de la domination masculine ».
Le danger d’un mot polysémique
Que de confusions ! Suivant le contexte et l’époque, le terme de galanterie est changeant. Qu’on se reporte à l’excellent Centre national de Ressources textuelles et lexicales (CNRTL) : la galanterie est « art de plaire en société », « disposition à courtiser une femme », « aventure amoureuse », « maladie vénérienne » et « prostitution ». C’est beaucoup pour un même mot. L’adjectif lui-même prend des colorations très diverses dans Vies des Dames galantes (Brantôme), Les Indes galantes (Rameau) ou Le Pasteur galant (Boucher)…
De la politesse désintéressée, où un homme tient la porte à une dame, aux sous-entendus grivois, le concept de galanterie n’est pas monolithique mais les féministes semblent les confondre pour les besoins de leur démonstration. Ainsi de Simone de Beauvoir écrivant ce parallèle lourd de sens : « La prostitution est tolérée, la galanterie encouragée » (Le Deuxième Sexe, 1949). La remise en cause de la galanterie n’a pas attendu Jennifer Tamas. Et, pour l'aspect mythique, Alain Viala avait publié La Galanterie, une mythologie française en 2019 (au Seuil, déjà).
Wokisme ou réaction
Désormais le féminisme se complique de wokisme : il s’agit de déconstruire. Jennifer Tamas est-elle woke ? Interrogée par BV, elle ne nous a pas répondu. Seule certitude, elle baigne dans un milieu qui l’est puisqu’elle enseigne à la Rutgers University, dans le New Jersey, qui se distingue par ses « Mercredis Woke », espace de discussion « sûr, inclusif et respectueux »… Enfin, pas pour tout le monde... Dans la faculté elle-même, les Blancs sont qualifiés peu ou prou de mauvais par nature par une professeur, et les Juifs ont été pris à parti en avril dernier par des étudiants pro-Palestiniens.
Cependant Jennifer Tamas espère une renaissance de la galanterie fondée sur ce qui la caractérisait au XVIIe : « l’attention à l’autre, la condamnation de la violence, la valorisation de la discussion et de la nuance »; « Que ce soit avec un partenaire de vie, un membre de sa famille ou notre voisin dans le bus, la conversation peut réenchanter les liens humains. » Cette professeur américaine serait donc plus réactionnaire que woke. Non sans contradiction, car loin d’être un mythe comme elle l’écrit, la galanterie fut une spécificité bien française, perçue comme telle par les autres pays européens. Elle fut une haute marque de culture. « La galanterie a pour objet de civiliser les hommes », rappelait le militant écologiste Philippe de Roux. Si la déconstruire ne laisse d'autre choix que de « draguer » avec des phrases du style « wesh t’es bonne toi », ce sera sans nous.
Samuel Martin