Sale temps pour Taylor Swift. Après la défaite électorale de sa championne Kamala Harris, à qui elle avait très publiquement apporté son soutien, la popstar américaine fait aujourd’hui face à des ennuis d’une toute autre nature : elle est accusée de chanter en playback. Une incrimination loin d’être anodine pour une artiste dont la dernière tournée a suscité l’engouement de la presse internationale et engrangé la coquette somme d’un milliard de dollars de recette…
Le scandale est venu d’un certain Fil Henley, guitariste britannique dont la chaine YouTube Wings of Pegasus s’est spécialisée dans l’analyse et la critique de prestations musicales. Dans une vidéo publiée le 27 octobre dernier et déjà vue près de 500 000 fois, il affirme, documents saisissants à l’appui, que les concerts donnés par Taylor Swift cette année à travers le monde comportaient très, très peu d’éléments réellement « live ». L’Anglais a extrait les pistes vocales de trois concerts différents et s’est rendu compte en les comparant qu’elles étaient rigoureusement identiques. Exactement les mêmes notes, exactement le même tempo. Les courbes de fréquences concordent en tout point, chose parfaitement impossible à produire naturellement.
En France, Étienne Guéreau, YouTubeur, mais surtout pianiste et compositeur, s’est essayé au même exercice. « Pour le segment que j’ai analysé, sur la chanson 'Style', j’arrive aux mêmes conclusions que Wings of Pegasus, confirme-t-il au micro de BV. Comme je n’ai pas analysé toutes les chansons, je n’irai pas jusqu’à dire que l’ensemble du show est en playback, mais ce que j’ai vu l’est. Mon intuition me fait dire que c’est nivelé, en playback ou corrigé par Auto-Tune. » Si la méthodologie utilisée peut être contestée par certains car elle repose sur des outils informatiques se servant de l’intelligence artificielle, Étienne Guéreau a peu de doutes quant à la solidité de sa démonstration. « J’utilise mes oreilles, je suis musicien, rappelle-t-il. Sans même utiliser l’intelligence artificielle, avant le moindre traitement, on est frappé par la ressemblance des fichiers entre eux. Les pistes se confondent. C’est une première indication. »
Pour l’heure, aucune analyse sérieuse n’est venue contredire les allégations portées contre Taylor Swift. Contacté, le label Def Jam France n’a pas encore répondu à nos sollicitations.
Une tendance lourde dans l’industrie musicale
Le recours à la technologie lors des concerts semble hélas se généraliser sur la planète pop. « C’est en train de prendre de l’ampleur parce que les outils informatiques sont de plus en plus puissants, nous explique le YouTubeur français. Je reçois beaucoup de témoignages de gens qui travaillent sur des tournées d’artistes dont les spectacles sont en playback de A à Z ! Certains vont en studio, enregistrent un show entier et c’est ce show qui est ensuite diffusé à chaque concert. Ça prend de l’ampleur depuis les années 2010 et c’est en train de se systématiser. » On pense notamment à Britney Spears, bien connue pour son usage immodéré du « lip-sync », et dont les performances réellement live sont si rares qu’elles font les gros titres des médias
Sur les tournées comme celle de Taylor Swift, les enjeux financiers sont tels qu’il peut paraître plus prudent aux producteurs de recourir à la technologie afin d’éviter tout souci technique. L’illusion est parfaite, les shows sont épurés de toute fausse note, le public en redemande. Dès lors, pourquoi s’en priver ? Parfois, les fans eux-mêmes savent pertinemment que tout n’est pas live, mais n’en tiennent pas rigueur à leur star préférée. Au risque de pénaliser ceux qui continuent à courageusement se produire sans filet de sécurité. « Ça ne me dérange pas que les gens aient juste envie d’être émus, de s’illusionner, comme avec des cascades au cinéma. Je peux comprendre, déclare Étienne Guéreau. Mais si tout se vaut, plus rien ne se vaut. Ce relativisme à tout crin est néfaste pour la musique parce que ce n’est pas la réalité. Je travaille avec des chanteurs qui n’utilisent pas ces artifices-là. Ces artistes se donnent, prennent des risques, et il ne faut pas les mettre au même niveau que des productions artificielles ou des shows complètement bidonnés. »
Restera-t-il encore des spectacles 100 % live dans quelques années ? Nos oreilles toujours plus accoutumées à des productions ultra-calibrées et sans aspérités tolèreront-elles encore des voix naturelles, non trafiquées et donc imparfaites ? Cette interrogation est d’autant plus justifiée qu’aux États-Unis, certains artistes majeurs semblent déjà avoir basculés du côté fake, optant pour des prestations à la limite de la contrefaçon, voire de l’escroquerie. Y compris des popstars qu’on croyait pourtant appartenir au camp du Bien…
Jean Kast