«Scandale», le roman total de Marlène Schiappa

L'ex-secrétaire d'État promettait une romance torride entre une ministre de l'Intérieur en quête de sens et un basketteur érudit. Et si le texte était plus profond qu'il n'y paraît ? 

Marlène Schiappa va sortir un livre « new romance » avec une « femme  ministre » comme personnage principal

Il arrive que des romans nous happent dès les premiers mots pour ne plus nous lâcher. On les nomme des page turners. Il arrive aussi que des romans nous bouleversent parce qu'ils parlent à notre intelligence et notre âme, nous élèvent. Scandale réussit le prodige rare d'être tout cela la fois.

Osons un bref résumé de l'intrigue. Ministre de l'Intérieur, Jasmine Patxi a la vie bien remplie d'une femme puissante avec un peu de charge mentale (un fils qu'elle élève presque seule, le père est défaillant). Lors d'un déplacement à New York, elle rencontre Parker Saint-James, basketteur star de NBA. C'est le coup de foudre, la main au panier à trois points. Seulement voilà, et si cette rencontre cachait un bon coup fourré ?

Amour, aventure, frissons: tout est là. Marlène Schiappa y ajoute son exigence d'écrivaine: à la fois réinventer l'écriture, dire la vérité brute de l'amour et, enfin, nous aider à vivre.

Danser les mots, une poésie exigeante

Dès les premiers instants et au fil des pages, un mot s'impose: poésie. Ici, la plume de Marlène Schiappa se fait pinceau et d'exquises aquarelles s'offrent à nous. «BP mesure près de 1,90 m, une mèche de cheveux poivre et sel vient lui caresser le front, et je réprime un sourire en songeant aux poils fournis sur sa peau bronzée qui se cachent sous sa chemise bleu ciel.»

Là, l'écrivaine danse avec les mots pour écrire une partition d'une exquise musicalité. Ainsi l'émotion brute d'un coup de foudre est sublimée par la force d'images délicatement évocatrices. On y observera la puissance beethovénienne de «comme comme comme comme», soigneusement répétés.

«À l'instant où nos peaux entrent en contact, je reçois comme un électrochoc. La douceur de la peau de Parker se marie parfaitement avec la mienne. Comme si je retrouvais une sensation d'un immense bien-être qui m'envelopperait subitement. Comme un plaid doux et chaud une soirée d'hiver. Comme un éclat de rire. Comme le premier contact de mes chevilles avec une vague ourlée d'écume sur le sable au printemps. Comme la texture de la chantilly maison de ma grand-mère débordant de sa petite cuillère. Comme les premières notes d'un orchestre symphonique jouant mon morceau préféré. Comme un feu d'artifice lors d'une fête foraine. Comme une immense vague de bonheur.» (NDLR: ET ILS ONT PAS ENCORE BAISÉ.)

Le livre peut parfois paraître déroutant lorsqu'elle réinvente les mots, déchire les phrases, broie les textes. Son personnage nous donne une clef pour comprendre: Jasmine Patxi est docteure en langues mortes. Traduction en langage de l'amour: la langue morte n'embrasse plus. Langue morte, coeur sec. Mais ce monde ancien ne demande qu'à revivre. À condition de faire langue avec l'autre.

«En deux pas de ses immenses jambes, il se plante devant moi, ses yeux ancrés au fond des miens, et me lance un inattendu:
–Hola, chiquita. What are you doing here?»

Les pages roses de la rousse

Ce n'est pas assez d'être trilingue. Pour un date réussi, pour que les langues se malaxent, il faut aussi parler antique. Or, coïncidence, Parker est à la fois basketteur et latiniste puisqu'il connaît la citation intégrale de «carpe diem». «Mon domaine de prédilection!», s'exclame Jasmine. Sa langue revit par celle de Parker: il y a là comme une réinvention parfaite du mythe du latin lover.

Observons, admiratifs, la naissance d'une idylle.
«Je lis ceci en ce moment, un livre sur la sémiologie latine, c'est passionnant.»
Subjugation de la ministre.
«Je contemple pour la première fois son sexe. Il est grand, droit, dur.»
Autrement dit: «Inguini primum contemplor. Statura, recta, tenax.» Le Gaffiot est une arme redoutable.

Alors, pendant que se roulent des pelles latines, l'artiste qu'est Marlène Schiappa peut créer son propre langage, celui que sa poésie exige. Par son inventivité et, osons le mot, sa liberté, Scandale voisine sans rougir avec l'œuvre de Rabelais ou celle de Joyce. Chaque mot, forgé ici, ouvre des chemins exploratoires nouveaux.

«Est-ce qu'on peut dire “plan cul régulier” quand on est ministre?»
«Nous avons traversé Paris en moins de temps qu'il n'en faut pour poster une story sur Instagram.»
«Les pensées mêlées des New-Yorkais rebondissent sur l'asphalte.»
«J'ai l'impression d'être une autre personne, d'avoir une vie de plus en bonus, comme une balle extra quand on gagne au flipper.»

En magicienne des formules, elle sait l'élégance des métaphores amoureuses, du joueur de basket séduisant: «–Regardez, ses tirs sont tous précis, me souffle le consul.» À la promesse picturale d'un Verrou: «Il peine à trouver la clé et à l'introduire dans la serrure.»

Beauté de l'amour

Qui a lu Les Laisons dangereuses ou SAS sait que l'amour est d'abord un combat. Quand les langues s'entrechoquent, on fait le plein des sens. Comme Gérard de Villiers, Marlène sait la vérité hussarde d'un petit coup vite tiré, ce «cinq minutes douche comprise» qui laisse la femme pantelante de bonheur.

«Il m'avait retournée afin de me caler contre le mur debout, dos à lui, et avait écarté ma culotte d'un doigt avant de me pénétrer vigoureusement d'un coup de hanche sans même me déshabiller.»

Jasmine a besoin d'un homme, un vrai. Le mâle que toute femme secrètement attend. «Finalement, il semble un peu arrogant et, n'en déplaise à mes trente ans d'engagement féministe, assez excitant.»

Mais à aucun moment, elle n'oublie le vrai romantisme, celui qui donne des «papillons dans le ventre» et par lequel le «cœur effectue un salto avant», celui qui réveille en nous le bonheur enfantin des jeux et des rires: «Nous nous mettons de la barbe à papa bien rose et bien sucrée dans la bouche l'un de l'autre.»

Jeux de crache-crache

L'instant d'après, ou d'avant, on ne sait plus dans un tel maelström poétique, «sa langue tournoie autour de mes lèvres. Sa salive coule à l'orée de ma bouche et je l'avale immédiatement. Elle a un goût salé.» On l'oublie souvent, mais la salive comporte de nombreux éléments nutritifs. Tant de gourmandise, est-ce bien raisonnable? «Chaque baiser déclenche un soubresaut de mon estomac», relate l'autrice, en clinicienne de l'amour.

Ces badinages n'ont qu'un temps; voici qu'une fièvre nouvelle enflamme l'ouvrage. «Ses doigts continuent de me pénétrer, ma peau se tend, mon ventre se contracte, mon clitoris se durcit. L'odeur de Parker m'enivre.» Comment lire ces lignes en gardant la distance impavide du critique? Chaque mot ici brûle, irradie la lecture.

Marlène Schiappa sait combien l'érotisme naît du mystère, du non-dit, de la suggestion.

«Il écarte sa bouche de la mienne, penche la tête et murmure à mon oreille:
– T'aimes ça?» Lui-même en perd son latin! Savourons ce «t'aimes ça?», qui hurle la passion amoureuse. Bientôt, les corps, impatients, se déchaînent.

«Il retire sa veste, puis fait sauter tous les boutons de sa chemise, qu'il lance sur le sol avec vigueur, dévoilant son torse musclé.» A-t-on déjà dit avec une telle force évocatrice le lancer de boutons de chemise dans une chambre d'hôtel? Marlène Schiappa sait combien l'érotisme naît du mystère, du non-dit, de la suggestion. Avec quelle exquise délicatesse, chaque mot, chaque lettre peut-être, est ici choisi!

«Alors que je suis allongée sur le ventre, il se glisse sur moi, sa main entre mes cuisses semble aller chercher de quoi se lubrifier. Il met sa main devant ma bouche et me dit:
– Crache!
Docile, je crache dans sa main un peu de salive blanche, qui rejoint sa queue illico presto. Sa tête s'approche de la mienne, il embrasse ma nuque et me susurre dans le creux de l'oreille:
– Dis-moi si tu la sens bien.»

Et c'est ainsi qu'une ministre de l'Intérieur offre le sien.

Pause technique

À ce niveau de trouble, nous autorisons bien volontiers notre lectorat à interrompre sa lecture quelques instants pour aller se soulager.

Parfait, tout le monde est revenu, on peut continuer.

Car au fond, c'est quoi la vie?

Reprenons. Scandale est un roman total, avons-nous dit. De fait, l'élégance stylistique et les vertiges amoureux sont ici pour délivrer un message profondément humaniste. Car Marlène Schiappa est aussi professeure de vie. Elle s'adresse à la France qui se lève tôt, celle des femmes puissantes qui font face aux duretés de l'existence. Jasmine Patxi, c'est un peu nous toutes.

Jasmine est cette femme qui n'a «personne à qui confier [ses] craintes». Cette femme «ultra puissante, et ultra seule». Comme beaucoup, sa «vie entière est une salle d'attente». Comme chacune d'entre nous, elle rentre chez elle «en pleurant tous les soirs, assaillie par la violence de la société et celle du monde politique». Oui, nous le savons, «notre vie passe dans un vide et nous jouons cette même saynète encore et encore».

Dans ce texte à clefs, Marlène Schiappa nous dit qu'on peut oser l'amour. Oui, nous pouvons renoncer à un portefeuille ministériel si l'amour se présente à nous.

Jasmine est cette femme ordinaire qui se rend à la matinale de France Inter en pensant au rendez-vous de son fils chez l'orthodontiste. Comme moi, comme vous. Comment ne pas se reconnaître dans ces lignes douloureuses mais, osons le mot, vraies?

Alors, Marlène Schiappa nous prend par la main. Car rien n'est écrit. Demain est possible. Une autre vie s'offre à nous, il suffit de la choisir.
«Mais bon, ce n'est pas une fois arrivée dans le salon Air France que je vais rebrousser chemin.
–Je ne resterai pas tard, annoncé-je au consul. Je partirai sûrement après la première mi-temps.»
Qui, parmi nous, n'a pas hésité dans un salon Air France à la mi-temps de sa vie? Là encore, la métaphore s'impose, d'une remarquable précision.

Nous pourrions en rester là, mais Scandale va plus loin encore. Dans ce texte à clefs, Marlène Schiappa nous dit qu'on peut oser l'amour. Oui, nous pouvons renoncer à un portefeuille ministériel si l'amour se présente à nous. Que pèsent les ors de la République face au bonheur véritable? «Toi tu es intelligente. Tu es déterminée. Tu es jeune. Tu t'es consacrée aux autres, aux idéaux, au pays, il est temps d'être heureuse, juste pour toi, tu ne crois pas?»

La vie, c'est peut-être vivre

Alors Jasmine choisit Parker, «sa voix grave», «ses bras [où elle se] sent en sécurité», «les paillettes dorées de ses iris». Elle sait qu'un jour elle aura, comme moi, comme vous, besoin d'une épaule où s'appuyer lorsqu'elle «traversera des épreuves dans la vie».

«Aucun travail, aucune responsabilité, aucune une de journal ne te tiendra compagnie quand tu vieilliras», lui susurre sa maman. Alors, Jasmine bifurque, Jasmine prend un risque, Jasmine choisit la vie: «Et me voilà en route vers un futur aussi inconnu que désirable.»

Quelle sagesse! Quel extraordinaire message d'espoir pour toutes les femmes, qu'elles soient ministres ou simples secrétaires d'État !

Il arrive parfois qu'une bluette dissimule une réflexion de l'âme. On n'en dira pas davantage car peu importe au fond: ce roman-tourbillon nous entraîne dans un conte philosophique entièrement dédié à l'art de vivre. Il y avait Épicure, Montaigne et Raphaëlle Giordano. Il y a désormais Marlène Schiappa.

Au fait, pourquoi une telle publication? Peut-être parce que si vous cherchez «scandale» et «Schiappa» dans Google, on vous renverra désormais vers une bluette, et non pas vers l'affaire du fonds Marianne.

Jean-Marc Proust

 

Date de dernière mise à jour : 20/07/2024

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