Défenseur des deux magistrats en conflit avec Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, l’avocat François Saint-Pierre livre un récit passionnant. Et propose une plongée dans les arcanes (toujours) insaisissables et (parfois) scabreuses de la justice française. Édifiant.
Les faits, rien que les faits. Avec effets de manche. Normal ! Le livre est signé François Saint-Pierre, l’un des avocats les plus charismatiques de sa génération. Publiées quelques mois après le procès quelque peu surréaliste qui s’est tenu devant la CJR (Cour de justice de la république) en novembre dernier, ces 154 pages nous font revivre de l’intérieur trois rendez-vous judiciaires hors du commun et liés les uns aux autres. Trois procès qui en disent long sur le fonctionnement de notre justice. Et qui l’éclairent d’un jour nouveau.
François de Saint-Pierre
Le ministre sur la sellette
Minute par minute, heure par heure, avec une précision d’horloger, l’auteur nous fait vivre de l’intérieur les procès dans lesquels il s’est retrouvé en tant qu’acteur : avocat des deux magistrats Edouard Levrault et Patrice Amar, renvoyés devant le CSM (Conseil supérieur de la magistrature), parties civiles dans le troisième procès, beaucoup plus médiatisé, considéré comme « une première » et qui a mis sur la sellette le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti.
Un garde des Sceaux pas tout à fait comme les autres, qui plus est en exercice, renvoyé devant cette juridiction d’exception pour prise illégale d’intérêts.
La belle affaire ! ou plutôt les bonnes affaires. François Saint-Pierre revient sur ces dossiers, leur cheminement, leurs aspects procéduraux, mais aussi, et c’est cela qui passionne le lecteur, leur dimension humaine et institutionnelle. Il explique, décortique, décrit les acteurs, les connivences, les inimitiés, les parcours, les enjeux. Le roman de la vie judiciaire.
Deux conceptions de la Justice
Ce qui ressort de ce récit, c’est le conflit entre deux conceptions de la justice, diamétralement opposées.
Saint-Pierre et Dupond-Moretti sont tous deux avocats, mais tout les oppose et les éloigne.
Le garde des Sceaux, l’homme, le plaideur que l’on surnommait « Acquittator » a toujours privilégié le rapport de force, le coup de gueule, l’intimidation.
Saint-Pierre lui, joue la discrétion, la finesse, et ne respecte qu’une seule règle : celle du droit, rien que le droit.
Dupond-Moretti avocat, ne cachait pas son mépris pour les magistrats. Et les conspuait.
Edouard Levrault, défendu par l’auteur, se souvient d’une conversation téléphonique houleuse avec l’avocat devenu ministre. À l’époque, celui-ci défendait ses clients monégasques et souhaitait obtenir du juge des infos par un simple coup de fil. En vain. Et donc vert de rage.
« Vous me faites penser, a-t-il dit à Levrault, à ces petits juges qui sortent tout droit de l’ENM (l’École Nationale de la Magistrature) et qui ferment leur porte aux avocats. Je me souviendrai de votre nom et je ne manquerai pas de parler de vous dans mon prochain livre. »
Saint-Pierre lui, les magistrats, il les défend. Car souvent leur carrière fragile est en jeu.
« Le contre-exemple d’un bon ministre de la Justice »
Blanchis par le CSM, les deux magistrats ont été évidemment secoués par ces procès.
Dupond-Moretti de son côté, bien que relaxé, a quoiqu’il en dise mal vécu sa comparution devant la CJR.
On aimerait à présent qu’il prenne le temps, sa plume et délivre sa version des faits. Qu’il expose sa vision de la justice.
Ne serait-ce que pour répondre à la conclusion cinglante du récit de François Saint-Pierre : « Éric Dupond-Moretti donna le contre-exemple d’un bon ministre de la Justice, par les conflits d’intérêts qu’il n’a cessé de nier, mais qui l’ont miné, par son comportement colérique et grossier, par ses propos populistes de père fouettard, incapable de défendre les libertés face aux discours sécuritaires ; un ministre de la Justice ne devrait jamais se comporter ainsi. »
Frédéric Crotta