
Le procès dit de l’affaire Apollonia s’ouvre ce lundi 31 mars et pour 10 semaines devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille. Retour sur les mécanismes d'une escroquerie immobilière à près d'un milliard d'euros portant sur plus de 700 victimes.
Au milieu des années 2000, la société Apollonia, basée à Aix-en-Provence et spécialisée dans le conseil immobilier en défiscalisation, fait la "une" des journaux économiques. Avec un chiffre d'affaires de 36 millions d'euros, le succès de cette entreprise fait des envieux.
Jean Badache, qui a monté l'entreprise avec sa femme - agent immobilier - et son fils, explique son succès par le "produit clés en main" qu'Apollonia propose depuis quelques années à une clientèle aisée, soucieuse de se constituer, à moindres frais, un patrimoine immobilier en vue de la retraite.
L'affaire Apollonia arrive ce lundi 31 mars devant le tribunal judiciaire de Marseille. À la veille du procès qui va durer plus de trois mois, "ici" revient sur les mécanismes de cette escroquerie.
Une promesse d'achats immobiliers autofinancés
Les clients d'Apollonia, des médecins, pharmaciens, enseignants, universitaires ou chercheurs, sont attirés par la promesse de pouvoir autofinancer leurs achats immobiliers sans apport par le double effet d’une récupération fiscale et de revenus locatifs censés couvrir le montant des échéances des prêts d’acquisition.
Une promesse de rentabilité exceptionnelle appuyée par l'intervention de commerciaux très persuasifs, mais aussi de professionnels supposés sérieux et dont la probité ne fait généralement aucun doute : des notaires et un avocat qui ont convaincu les investisseurs grâce à une argumentation fondée sur la confidentialité et la connivence.
Mais l'autofinancement promis "n'était qu'un mirage", souligne le juge dans son ordonnance, et les clients découvrent très vite qu'ils sont endettés pour des sommes astronomiques auprès de plusieurs banques par le phénomène de "l'empilement de crédits". Le 10 avril 2008, une plainte contre X est déposée auprès du procureur de la République de Marseille par 43 personnes.
Deux mois plus tard, une information judiciaire est ouverte pour "escroquerie commise en bande organisée", "faux et usage de faux" et "exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en opérations de banque". Le périmètre de cette information sera par la suite élargi aux chefs "d'abus de confiance" et de "faux en écriture publique ou authentique par personne chargée d'une mission de service public dans l'exercice de sa mission".
Des offres de crédits signées sur un coin de table
Entre 2002 et 2010, Apollonia a vendu plus de 5.000 biens immobiliers pour près d'un milliard d'euros. Selon les parties civiles, les appartements vendus sur plan et leurs revenus locatifs étaient surévalués de "70% à 100%", des prêts immobiliers ont été octroyés aux emprunteurs sans jamais voir de banquier, des offres de crédits ont été signées sur un coin de table, sans respect du délai de rétractation, les échéanciers étaient inexistants, les montants de traites non communiqués, les documents justificatifs falsifiés...
Bref, l’affaire Apollonia est selon le président de l’association de victimes Asdevilm, "la plus grosse affaire d’escroquerie immobilière que la France a connue". Et pendant que les clients ruinés faisaient face aux huissiers, la famille Badache, elle, menait grand train grâce aux commissions perçues (15% du prix de vente). La justice s'intéresse justement à plusieurs biens immobiliers familiaux des Badache et à des comptes bancaires en Suisse.
Au cours de l’enquête et de l’instruction, plus de 7,5 millions d’euros ont été saisis en France, en Suisse, au Luxembourg et au Maroc. Les investigations ont également permis de saisir quatre biens immobiliers en France et un au Maroc, ainsi que des objets de luxe.
Un avocat, des commerciaux et trois notaires mis en cause
La société Apollonia et 14 prévenus comparaissent jusqu’au 6 juin 2025 notamment pour escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux, et blanchiment en bande organisée. Parmi eux, les dirigeants de la société, l’avocat de l’entreprise, plusieurs commerciaux, des employés chargés des relations avec les banques, ainsi que trois notaires. Ils encourent jusqu'à 10 ans d’emprisonnement et un million d'euros d’amende pour les personnes physiques, jusqu'à cinq millions d'euros d'amende pour la société.
Quelque 760 personnes se sont portées partie civile. Les audiences se tiendront dans la salle des "procès hors norme" (PHN) sur le site de la caserne du Muy, dans le 3e arrondissement de Marseille.
Anne Jocteur Monrozier