Deux victimes de soumission chimique racontent comment elles ont été droguées à leur insu

Celle qui a demandé la levée du huis clos pour le procès de ses violeurs en 1985, revient pour Le HuffPost sur cette décision, qui fait écho à celle de Gisèle Pelicot.

Loire-Atlantique : Sandrine Josso, députée de la 7e circonscription, jugée  pour un prêt non remboursé

VIOLENCES - « J’ai cru mourir. » Ces mots sont ceux de Sandrine Josso, députée qui accuse le sénateur Joël Guerriau (Horizons) de l’avoir droguée à son insu en vue d’une éventuelle agression sexuelle. L’homme politique a depuis été mis en examen et cette affaire remet une nouvelle fois ce que l’on appelle la « soumission chimique » au cœur de l’actualité.

Sur les réseaux sociaux, les témoignages de femmes ayant été droguées, puis mises en danger, agressées voire violées, se multiplient.

La FL en a interrogé deux : Émilie, haute fonctionnaire de 36 ans et Camille, avocate de 33 ans. Leurs histoires ont deux points communs : l’absence de preuves et le temps passé depuis les faits qui les rendent aujourd’hui impuissantes devant la justice.

Émilie avait 27 ans et vivait à Nantes lorsqu’elle pense avoir été droguée à son insu. À cette période, elle discute régulièrement avec des hommes via des applis de rencontre, jusqu’au jour où elle accepte d’aller chez l’un d’entre eux.

« Un homme a réussi à créer avec moi une relation de confiance et j’ai été chez lui un soir, raconte-t-elle. Quand je suis arrivée, tout était déjà installé. Il y avait les verres, l’alcool dans la flûte à champagne. Mais je ne me suis pas du tout méfiée. Jamais personne ne m’avait parlé de ça, je n’avais jamais eu de mauvaise expérience. Et rien dans son attitude ne pouvait laisser penser qu’il allait m’agresser. »

« J’ai senti qu’il se passait un truc bizarre »

Elle boit alors « un verre ou deux, pas plus » et perd très rapidement ses moyens. « J’ai senti qu’il se passait un truc bizarre, se souvient-elle. Il m’a fait m’installer dans un coin du canapé et lui en face sur une chaise. J’ai commencé à ne pas me sentir bien du tout. Il y avait la porte à ma droite et j’ai pensé à fuir à ce moment-là. Mais je ne l’ai pas fait. » La suite de l’histoire est très confuse pour elle, sa mémoire n’ayant retenu que des « flashs ».

« Ce dont je me souviens, c’est lui en train de me déshabiller dans les escaliers pour monter à sa chambre. Et puis moi sur son lit, nue, expose-t-elle. Sauf que je ne sais pas ce qui s’est passé. Je sais qu’ensuite nous avons parlé et que je suis partie, je ne sais pas à quelle heure. Je suis rentrée chez moi et je n’y ai plus jamais pensé. » Elle n’a jamais revu l’homme en question et ne connaît pas son nom.

Il aura fallu près de dix ans pour qu’Émilie sorte de ce qu’elle a identifié depuis comme étant une « amnésie traumatique ». Sa mémoire a commencé à revenir il y a un an et ce souvenir est réapparu en septembre dernier, brutalement, lors d’un conflit au travail.

« Je me suis sentie en danger au travail et je me suis effondrée, d’une manière que je n’ai pas comprise, explique-t-elle. Je suis allée voir le médecin du travail et c’est en discutant avec lui, lorsqu’il m’a demandé si je m’étais déjà sentie en situation de danger, que tout m’est revenu. Et que j’ai enfin accepté ce qui m’était arrivé. » Cette prise de conscience a des conséquences lourdes : elle se retrouve alors dans un état « d’effondrement » inédit pour elle.

« J’étais incapable de bouger, comme paralysée »

L’histoire de Camille, également droguée à son insu à l’âge de 20 ans, est tristement banale. Alors qu’elle fête la fin de ses partiels de droit avec une amie, elle se rend dans une boîte de nuit de Bayonne. « Quand on est arrivées, il était assez tôt, on s’est dirigées vers le bar, raconte-t-elle. On a commandé notre verre, on l’a pris et on est parties danser avec. Et on a commencé à le boire. Ma copine s’est mise à danser avec un garçon. Et d’un coup, en quelques minutes, je me suis sentie très mal. »

Elle ne comprend pas tout de suite ce qui lui arrive et décide de sortir de l’établissement pour prendre l’air, avant de s’effondrer quelques mètres plus loin. « Je me suis écroulée, les jambes coupées, se souvient-elle. J’ai ce souvenir glaçant d’être allongée sur le sol, sur le dos, complètement consciente, mais incapable de bouger, paralysée. »

Quelques minutes plus tard, elle voit son amie sortir de la boîte de nuit. « Elle fait exactement la même chute et s’est écroulée à côté de moi, souligne-t-elle. Le garçon avec qui elle dansait est sorti aussi et a compris : il nous avait vues entrer tout à fait normales dans la boîte et en ressortir dans cet état dix minutes après. Il a capté qu’il y avait un problème. » Heureusement pour les jeunes femmes, l’homme en question n’est pas mal intentionné.

« Sur le coup, je n’ai rien dit »

Il les porte alors jusqu’à leur voiture garée sur le parking de la boîte de nuit. « J’ai un souvenir du bonhomme, entre nous deux, à nous tenir les cheveux et à nous dire “allez, on met les doigts et on vomit”, décrit Camille. Ensuite, il nous a dit de rester dans notre voiture, de fermer à clef et de dormir là. C’est ce qu’on a fait. Le lendemain, on avait repris possession de nos moyens et on est rentrées chacune chez nos parents. »

Aujourd’hui, Camille a un regret : ne pas avoir déposé plainte et fait d’analyses. « J’étais hyper mal physiquement et même si au fond je savais ce qui s’était passé, je savais que si je racontais tout à ma mère, ça allait être la panique à bord, estime-t-elle. Je n’ai donc rien dit. Des années plus tard, on a appris que le barman de cette boîte avait été chopé à mettre des produits dans les verres. »

Si elle a aujourd’hui choisi de « dédramatiser » cette histoire, elle estime qu’il est important d’en parler afin que les victimes et les témoins aient les bons réflexes. « Ça s’est bien terminé, mais si j’avais croisé le premier taré venu, j’étais incapable de me défendre, admet-elle. Ce qui m’a inquiétée, c’est que j’ai toujours fait attention, je n’ai jamais posé un verre. Je me suis dit que même en faisant tout bien, je ne peux pas être en sécurité. »

De son côté, Émilie travaille à accepter ce qui lui est arrivé, avec l’aide d’une psy spécialisée en psycho trauma. « Tout ce que je peux faire c’est vivre avec cette histoire, travailler sur moi et laisser ça derrière moi. La justice ne pourra être faite, faute de preuves, estime-t-elle. On se sent vraiment prise au piège, car on est impuissante. Je ressens aussi une grande colère : ça arrive dans tous les milieux, à n’importe quelle femme et pas parce qu’on est faible ou inconsciente. »

Lucie Hannequin

Date de dernière mise à jour : 06/09/2024

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