Dope, vodka et bisexualité : les multiples facettes de Simone de Beauvoir

Café de Flore

L’auteure du Deuxième Sexe appréciait la dope et la vodka. Et multipliait les relations bisexuelles.

La petite Simone, née dans une famille bourgeoise en 1908, est élève au Cours Desir, une école catholique parisienne, qui prépare les filles à devenir de bonnes épouses. À 10 ans, elle y rencontre Élisabeth Lacoin, dite "Zaza", qui la fascine par ses manières "libres et même un peu effrontées". Les deux amies deviennent inséparables jusqu’au décès brutal de Zaza, avant ses 22 ans. La jeune fille a succombé à une encéphalite, mais Simone de Beauvoir y voit aussi le poids des conventions de leur milieu. La famille de Zaza a longtemps été hostile à son désir de faire des études. "Ensemble nous avions lutté contre le destin fangeux qui nous guettait et j’ai longtemps pensé que j’avais payé ma liberté de sa mort", écrit-elle dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée, le premier volet de son œuvre autobiographique paru en 1958.

Avec son amant américain, c’est une midinette soumise

Elle rencontre Nelson Algren, un romancier américain, en 1947 à Chicago. Il est grand, viril, macho, tout l’inverse de Sartre. Leur relation est passionnelle, c’est avec lui qu’elle connaît son premier orgasme. Il lui offre une bague, elle l’appelle "mon mari". Algren ne comprend pas son pacte avec Sartre. "Par ici, les putains appellent ça une passe", lui écrit-il un jour de désespoir. Elle répond en maculant ses lettres de baisers de rouge à lèvres. "Je serai sage, je ferai la vaisselle, je balaierai, j’irai acheter moi-même des œufs et du gâteau au rhum, je ne toucherai pas vos cheveux, vos joues ni votre épaule sans autorisation", lui promet-elle. Finalement, Simone reste en France avec Sartre. Elle gardera la bague d’Algren jusqu’à la tombe.

Sa libido titille Simone de Beauvoir

Au bout de sept ou huit ans, la relation entre Sartre et Beauvoir devient essentiellement intellectuelle. Malgré sa boulimie sexuelle, Sartre est un mauvais amant – "j’étais plus un masturbateur de femmes qu’un coïteur", reconnaît-il. Beauvoir a de gros besoins à assouvir. Une main masculine qui l’effleure dans le métro la trouble pour la journée. En 1938, après une randonnée en Savoie, elle écrit à Sartre : "Il m’est arrivé quelque chose d’extrêmement plaisant, […] j’ai couché avec le petit Bost [Jacques-Laurent Bost, un élève de Sartre, N.D.L.R.] voici trois jours. Nous passons des journées d’idylle et des nuits passionnées." De nombreuses autres amours "contingentes" se succèdent, des hommes, mais aussi des femmes. Beauvoir a toujours nié sa bisexualité, pourtant évidente après la publication de sa correspondance avec Sartre, en 1990.

Pendant l’occupation, elle est au Café de Flore et sur Radio-Vichy

Un après-midi de janvier 1941, Simone de Beauvoir va boire un verre au Café de Flore, à Paris. Le bistrot est rempli d’officiers allemands. Mais tout ce qu’elle voit, c’est un poêle où se blottir pour travailler. Elle en fait son QG pour toute la guerre et y écrit deux essais, un roman et une pièce, en se souciant uniquement du chauffage. En octobre de la même année, mortifiée, elle doit déclarer sous serment pour continuer à enseigner qu’elle n’est ni juive ni franc-maçonne. Elle travaille aussi à Radio-Vichy comme "metteuse en ondes". Ce travail lui rapporte 2 000 francs par semaine, une belle somme, qu’elle utilise pour skier dans les Alpes. Dans ses Mémoires, elle décrit également les "fiestas" du Paris occupé où l’on danse et boit jusqu’à en perdre conscience… Accusée après guerre de passivité et d’égoïsme, elle s’insurge : "Nous avons fait ce qu’il fallait pour vivre, c’est tout !"

Simone de Beauvoir signe un "bail amoureux" de deux ans avec Sartre

Elle rencontre Jean-Paul Sartre à la Sorbonne en 1929, année de leur agrégation de philosophie. Simone est immédiatement "très sensible à sa voix gouailleuse et à sa lippe ironique". C’est le premier homme qu’elle embrasse, avec qui elle fait l’amour. Un après-midi de révision, il lui propose de "signer un bail de deux ans". Elle accepte. Le pacte va durer près de cinquante ans, jusqu’à la mort de Sartre en 1980. Il est clair : ni mariage, ni enfants, chacun peut avoir des "amours contingentes", selon le vocabulaire sartrien. Seule contrainte : tout se raconter, car eux sont "l’amour nécessaire".

Simone de Beauvoir s’engage avec force aux côtés du MLF

La montée du fascisme dans les années 1930, la guerre d’Espagne, la Résistance… Longtemps, la politique l’ennuie. Quand on lui parle du Deuxième Sexe, Simone rappelle qu'elle a aussi écrit des romans, de la philosophie, une pièce… "Je veux que les gens se mettent dans la tête que je suis écrivain." Peu à peu, sa conscience du monde se développe et elle prend fait et cause pour la décolonisation. Mais c’est aux côtés du MLF (Mouvement de libération des femmes) qu’elle va s’engager très activement dans les années 1970, période qui correspond à la dégénérescence de Sartre. "Je n’ai pas consciemment ni délibérément choisi cette période pour travailler avec les femmes, mais ce fut de toute évidence providentiel en détournant mon attention de Sartre", déclare-t-elle.

La gestation du Deuxième Sexe la rend malade

Beauvoir commence à rédiger Le Deuxième Sexe en 1947. Elle s’astreint à un programme strict où elle écrit sept, huit, parfois dix heures par jour pendant des mois. Ce livre la rend malade. Un jour, elle se regarde dans une glace et voit une femme ravagée, les yeux rougis de fatigue, des boutons plein la figure. "J’étais grosse, avec un ventre énorme à force de boire, de me droguer et de ne pas assez manger", se rappelle-t-elle en 1985.

Elle séduit ses jeunes élèves de lycée et en fait profiter Sartre

Pour gagner leur vie après leurs études, Simone de Beauvoir et Sartre enseignent au lycée. En 1943, l’auteure est accusée de "détournement de mineur" par les parents de Nathalie Sorokin, une jeune élève. Six ans plus tôt, Beauvoir, alors professeure au lycée Molière, à Paris, a déjà séduit la jeune Bianca Bienenfeld. Beauvoir la présente à Jean-Paul. Après des mois d’une cour effrénée, Sartre arrive à ses fins. Il se vante : "La femme de chambre va être bien étonnée, hier j’ai déjà pris la virginité d’une jeune fille." Simone n’est pas plus délicate : "Nuit pathétique. Passionnée, écœurante comme du foie gras et pas de la meilleure qualité." Dans un livre publié en 1993, ironiquement intitulé Mémoires d’une jeune fille dérangée, Bianca dénonce : "J’ai découvert que Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles, une chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre."

Vodka le matin et scotch l’après-midi

Jeune, dans les bars, Simone se distingue par son étonnante capacité d’absorption d’alcool. Dans les années 1950, elle est vue dans les bistrots de Montparnasse, ivre morte, à sangloter sur les banquettes en pestant contre la vie. Son frigo est toujours rempli de quatre ou cinq bouteilles de spiritueux. "Ça fait partie de mon équilibre, je me sens mieux après. Je prends deux grands verres de vodka avant le déjeuner et trois grands verres de scotch l’après-midi. Le soir ça dépend", avoue-t-elle en 1982. À la fin de sa vie, sous la pression de ses proches, elle accepte – difficilement – de mettre de l’eau dans son whisky.

Elle se fiche de son look et des bonnes manières

Elle est brusque, malpolie, impétueuse, parle fort, renverse son thé. Ses cheveux sont souvent gras, il lui manque une dent plusieurs années après une chute à bicyclette… Nelson Algren se souvient qu’en plein été "les amis de Simone devaient parfois lui rappeler qu’il faudrait peut-être mettre au placard la robe de l’hiver dernier". "La plus parisienne des Parisiennes est aussi la moins parisienne", s’amuse l’écrivain américain.

Simone de Beauvoir réchappe à plusieurs attentats à la bombe de l’OAS

En 1962, ses prises de position en faveur de l’indépendance de l’Algérie lui valent des menaces de l’OAS (Organisation armée secrète). Une première bombe explose à l’entrée de l’immeuble de Sartre, le 19 juillet 1962, causant seulement quelques dégâts. Un ami les installe dans une planque boulevard Saint-Germain. Mais au bout de quelques semaines, une autre bombe souffle le hall du bâtiment ! Quelques jours plus tard, l’appartement de Sartre est de nouveau plastiqué. Des sbires de l’OAS en profitent pour piller ; plusieurs manuscrits de Jean-Paul et de Simone disparaissent à jamais. Pour protéger le domicile de Beauvoir, des étudiants sympathisants du FLN (Front de libération nationale) sont chargés de le garder. Ils s’y plaisent tellement qu’ils refusent de partir.

Tout l’ennuie dans l’élan de mai 68… sauf le féminisme

Au début de mai 1968, elle est fascinée par le réveil de la jeunesse. Mais après avoir assisté à quelques assemblées générales d’étudiants, elle déchante. "L’élan politique s’est désintégré, remplacé par une épidémie de morpions, par un flot de beatniks, de putains, de clochards. À la Sorbonne, on se livre à des trafics de drogues et même des avortements. […] Les hommes faisaient les discours, les femmes tapaient, les hommes étaient à la tribune, les femmes restaient à la cuisine faire le café." Point positif : la naissance d’un féminisme militant. "Les femmes ne pouvaient plus attendre patiemment que les hommes changent la société pour elles car cela n’arriverait jamais, sauf si elles-mêmes s’en chargeaient", explique-t-elle dans une interview en 1984.

L'équipe de Rédaction

Date de dernière mise à jour : 18/08/2024

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