Les paris sont ouverts ! Si l’on doit un jour, comme le suggèrent certains, sacrifier des fêtes chrétiennes dans notre calendrier, la Toussaint sera à coup sûr - avec l’Ascension - dans la première charrette. Enfin, disons la deuxième, car le convoi de tête est déjà parti il y a quelques années avec le lundi de Pentecôte. S’il est une fête dérangeante, c’est bien celle-là.
Une enquête de l’IFOP publiée le 14 septembre 2023 rapporte que 40 % des Français souhaitent encore une cérémonie religieuse à leur décès. Un net recul, certes, si on compare aux années 60, mais un chiffre qui se maintient, au vu de la pratique religieuse dans notre pays.
Sans doute parce que s'il est un ultime endroit où la religion, persona non grata en Occident, trouve l'asile politique, c'est la mort. La mort d'un proche qui vous force, au moins jusqu'au jour de l'enterrement, à poser votre carte bleue, votre téléphone, vos projets de rencontre et de voyage, votre vie en mode cent mille volts, et à répondre à la question eschatologique de ce fils, neveu ou jeune cousin qui tire résolument la manche de votre manteau : « Elle est où, maintenant, Grand-Mère ? »
Si, à force de patience, on a réussi à ficeler Noël dans le Bolduc doré, si, à force de persévérance, on a réussi à faire fondre Pâques dans le chocolat, pas moyen de toiletter la Toussaint pour lui donner un air convenable. Halloween ? Un flop, un bide, une déroute. Le greffon n'a pas pris. Les panoplies de zombies sont en soldes dès le 15 octobre chez Toys ‘R’us, et il n'y a guère que dans quelques salons de coiffure de province que l'on voit encore pendouiller tristement une ou deux citrouilles grimaçantes dans la vitrine, entre les shampooings.
Et la Toussaint est toujours là, bon pied bon œil, avec son corollaire, le jour des défunts, ses pots de chrysanthèmes que l'on traîne, ses caveaux dont on gratte la mousse et dont on arrache les mauvaises herbes, ses moments de communion familiale, encore plus intenses qu'à Noël puisqu’ils incluent aussi les disparus. La terre, les morts... Tout cela vous a des relents barrésiens passablement suspects. Et puis, il y a ce pari de Pascal, qui ne vient jamais autant vous gratouiller l’âme que ce jour-là : et si c’était vrai ? Si, en effet, tout ne s’arrêtait pas définitivement là, six pieds sous terre ou dans un petit tas de cendres ?
La crise aidant, les crémations, bien plus économiques que les inhumations, ont le vent en poupe. Est venue d’Allemagne, qui n’est pas terre natale pour rien de Lidl et d’Aldi, la mode des enterrements low cost, du trépas à « prix cassé » : on vous propose la prestation minimale, sans options superfétatoires, le dernier voyage façon Ryanair. Même le cercueil est en carton. Un concept malin. Pour le brûler dans la foulée, n’est-ce pas, inutile d’investir…
En France, la société Alterco spécialisée dans le cercueil en carton recyclé - écolo, donc ! - vise une part de marché d’environ 15 % dans les prochaines années.
Le service religieux n’en sera que plus indispensable. La garantie d’un peu de solennité, malgré la pacotille. Rien ne peut atteindre la dignité d’un catafalque posé sous une croisée d’ogives. Pas même un cercueil en carton recyclé.
Gabrielle Cluzel, directrice de la rédaction de BV