310, c’est le numéro du bus londonien mis en circulation, le 1er septembre dernier, entre Golders Green et Stamford Hill Broadway. Il est rouge, comme les autres bus de la capitale anglaise, et fonctionne tous les jours de 7 heures à 19 heures avec une fréquence de passage de 20 minutes. Rien d’original, si ce n’est la raison de cette création de ligne.
Son ouverture n’a pas pour but de désengorger les lignes 210 et 273 qui font le même trajet mais répond à une demande de la communauté juive, comme l’a indiqué Sadiq Khan, le maire de Londres à la BBC : « Depuis 16 ans, les communautés juives de Stamford Hill et de Golders Green font pression pour un lien direct entre ces deux communautés ». Une requête qui a pris plus de poids ces derniers mois « en raison de la montée massive de l’antisémitisme depuis le 7 octobre de l’année dernière ».
Des juifs menacés
Après avoir recueilli de nombreux témoignages de familles « effrayées par les abus qu'elles avaient subis » dans les transports en commun de sa ville, le maire avait promis, en cas de réélection, de lancer cette expérimentation d’une année devant permettre aux juifs londoniens de se sentir « en sécurité lorsqu'ils voyagent ». C’est chose faite, pour un coût de 3.160.000 livres sterling (3.747.586 euros).
Une initiative saluée par les représentants du London Jewish Forum et du Board of Deputies of British et qui semble faire consensus. Pourtant, aussi louable soit-elle, la démarche devrait faire réagir. Ce n’est pas le cas. En 2024, les êtres humains peuvent être séparés en fonction de leur appartenance à un groupe ethnique ou religieux, sans que cela ne fasse scandale.
Où sont passés les humanistes, d’habitude si prompts à réagir lorsqu’il s’agit de ségrégation ? Que sont devenus les bien-pensants qui, en 2013, avaient crié au racisme lorsque le ministre israélien des Transports avait créé des lignes de bus séparées pour les Israéliens et les Palestiniens ? Trouvent-ils normal que faute de pouvoir protéger une frange de la population en éradiquant la menace qui pèse sur elle, le maire d’une capitale européenne officialise sa mise au ban de la société ?
Des juifs retranchés
Cette mesure est une preuve de plus que l’antisémitisme gagne du terrain (+278,9 % de crimes haineux antisémites enregistrés en un an à Londres) mais également qu’il est accepté, que le monde apprend à vivre avec plutôt que de le combattre. Ce, en Angleterre comme en France et plus généralement en Europe. Menacés, les juifs n’ont d’autre choix que de se replier sur eux-mêmes, de vivre reclus. D’une certaine manière, ils sont ostracisés.
En Angleterre, pays non laïque, multiculturel par excellence et ayant longtemps pratiqué la discrimination positive, le vivre-ensemble a aussi du plomb dans l’aile. Comme quoi, le problème ne vient peut-être pas que du modèle d’intégration.
Sarah-Louise Guille