Marine Jacquemin publie "Mes guerres", un livre qui se lit comme un roman fait de réalités vraies.
Ses guerres, ce sont naturellement ses grands reportages en Afghanistan, lors de la guerre du Golfe, en Tchétchénie, au Rwanda ("ce que nos yeux ont vu c'est indicible"),au Liban, au Pakistan, en Yougoslavie, en Somalie, en Irak, à Gaza... Terrains de conflits sanglants, " la boue, le froid, l'odeur du sang, les cadavres gelés en Tchétchénie, l'humidité là où l'on dort...Il faut être solide". Elle a travaillé pour TF1, Arte, "producer pour les anglo-saxons pendant 10 ans", et à la tête d'une boite de production "Ethicprod" ( dénomination pleine de sens).
Mais ce sont aussi ses combats personnels contre l'endométriose qui l'empêche d'avoir un enfant, "mère en deuil mais sans dépression nerveuse, sans tendance suicidaire" en ayant connu pendant l'enfance un vrai "cocon familial avec des parents très proches des autres". Combat aussi contre le cancer, plusieurs fois.
"Pour vivre sa vie, pas pour la perdre", car elle est passée près de la mort (plusieurs fois) en mission. Mais elle a une habitude, elle positive tout, jamais désespérée. "Je souris à la vie, j'ai vaincu toutes mes guerres à moi". "Avec une vie de femme normale".
Elle a ouvert la voie féminine du reportage de guerre réservé aux collègues masculins. "Et si j'allais voir le monde, les femmes d'un autre monde", "avec des yeux pleins de curiosité, avec empathie". Tout en pouvant être bouleversée, même si elle a vu des collègues masculins pleurer là où elle ne pleurait pas.
Avec la voix de femme si particulière, pour "porter la parole des femmes et des hommes victimes de la guerre".
Un voyage en Birmanie à 17 ans, un autre en Afrique à 20 ans, ont fait naitre en elle l'envie du vaste monde.
Reportages pour témoigner "sans prétention" sur le monde, " sur l'envers du décor", " pour croiser sa vie avec la vie des autres", " avec le discernement et le recul nécessaires du professionnel". Avec " le flair particulier de la femme de terrain".
"J'ai fait beaucoup de guerres, parce que mes patrons ont cru en mon écriture. Je regardais la guerre par le petit bout de la lorgnette, pas de scoop, avec les gens qui la vivaient". "On fait de la géopolitique, de la géostratégie dans les sujets, moi je voulais expliquer la guerre de manière compréhensible..Je prenais les gens par la main"
Mais elle ne s'arrête pas là. Elle va se battre pour la création d'un hôpital pour les enfants de Kaboul, qu'elle continue à suivre, malgré toutes les difficultés qu'on connait. Avec ce souvenir du premier contact avec les talibans : un lion qui a pris une roquette et qui est aveugle, des aigles mitraillés et qui ne peuvent plus voler et ces hommes qui les regardent avec des regards d'enfants, alors qu'ils vont partir pour tuer... Et ce groupe de jeunes talibans qui vont se faire tuer le lendemain matin sur la ligne de front et qui passent la nuit, fous de joie parce qu'elle leur montre avec son équipe, des photos de la France, ses paysages, sa musique. "Ils me regardent comme leur soeur, leur mère, alors qu'au bout de la chaine, il y a en Afghanistan un ministre du vice et de la vertu". Comme elle le remarque "on ne nait pas monstre, on le devient". Or " on ne parle jamais de l'origine du mal". Et pour un journaliste "il faut savoir serrer la main du diable", pour comprendre, faire comprendre.
Elle a interviewé Vladimir Poutine 2 ou 3 fois," froid, on aurait dit un glaçon, un bloc". Elle a rencontré Yitzak Rabin, Bill Clinton, mère Teresa, Jacques Chirac, Danièle Mitterrand, François Mitterrand ( longuement, lors de ses 5 dernières années de vie)...
Elle se rappelle avec émotion ce poète géorgien qui a le double de son âge, à l'époque de leur rencontre : "Marine, tu es optimiste, je suis pessimiste, je suis mort et tu ne le vois pas. Le poison est en moi. On va mettre deux générations avant de se libérer. Tu n'aimeras pas ce qui va se passer...Il avait tout envisagé".
Alors que son livre dans un salon en province attire les plus jeunes, les couples, les femmes, les personnes d'un certain âge aussi, Marine Jacquemin devrait penser à envisager une deuxième livraison, un deuxième tome. Son livre pourrait aussi être adapté en bande dessinée( il y a matière...) avec QR code ouvrant sur des vidéos complémentaires. Ou en série télévisée, car son parcours de vie est rare et emblématique d'une époque pionnière dans laquelle il n'y avait ni stage de préparation à la confrontation aux combats, avant le départ sur le terrain, ni cellule psychologique au retour d'un vécu de scènes abominables.
Actuellement les correspondantes de guerre sont sur toutes les chaines de télévision, aux fronts. Elle leur a ouvert la voie, de la plus belle des manières.
Alain Roumestand