Connaissez-vous Nîmes ? Son patrimoine historique séculaire ? Ses jardins de la Fontaine, premier jardin public européen construit sous Louis XV, ses ruines antiques célèbres, ses arènes et sa Maison Carrée, inscrite depuis l’année dernière au patrimoine mondial de l’Unesco... et entre autres sites remarquables, ce que l’on appelle pudiquement, ses « quartiers prioritaires ».
Malheureusement, ces quartiers prioritaires savent comment se faire remarquer : le 22 juillet dernier, une importante opération du RAID dans le quartier du Chemin Bas d’Avignon a conduit à une dizaine d’arrestations, le 23 avril, le RAID, encore une fois, et 120 policiers ont été déployés au Mas de Mingue, dans la cadre d’une enquête pour trafic de stupéfiants. Le 23 février déjà, au même endroit, la police nationale du Gard et la CRS 81 avaient été déployées à la recherche d’armes et de stupéfiants et pour lutter contre l’appropriation des appartements non occupés par des délinquants. Enfin, le 10 mai dernier, le capot de la voiture d’un élève policier a évité un drame en prenant une balle perdue à la place de son conducteur… Bref, des quartiers généreusement pourvoyeurs de faits divers nîmois !
La moitié des dix-sept étages de la Tour Pollux, emblématique du quartier de Pissevin, vient d'être démolie, la galerie Richard Wagner, située au même endroit et passée de centre commercial à épicentre du trafic de drogue en quelques dizaines d’années, est elle aussi en pleine mutation. C’est là qu’il y a presqu'un an, le 21 août 2023, était tué par une balle perdue, Fayed, un gamin de 10 ans. Le quartier bénéficie d’une « Opération de requalification des copropriétés dégradées d’intérêt national » (Orcod-In), la seule hors Île-de-France.
Argent public à gogo
Nîmes compte six quartiers prioritaires, Pissevin-Valdegour, Mas de Mingue, Chemin-Bas d’Avignon/Clos d’Orville, Nemausus-Jonquille Haute-Magaille Oliviers, Gambetta-Richelieu, route de Beaucaire, qui rassemblent plus de 33.000 habitants. Ces six quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) bénéficient, entre autres, de soutiens financiers particuliers. Trois de ces quartiers sont concernés par le programme de renouvellement urbain porté par l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) : Chemin Bas d’Avignon/Clos d’Orville, Mas de Mingue, Pissevin-Valdegour vont ainsi bénéficier de près de 472 millions d'euros: près d'un un demi-milliard d’argent public (avec l’aimable participation de l’action logement, de la ville de Nîmes, du conseil départemental entre autres contributeurs) pour « renforcer la connexion de ces quartiers à l’espace urbain […] elle devra s’accompagner d’actions fortes en termes de sécurité et de lutte contre le trafic de stupéfiants », nous expliquent Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes, et Franck Proust, président de Nîmes Métropole. D’ailleurs, Olivier Lelièvre, chargé de la supervision des travaux pour le bailleur social « Un toit pour tous », explique qu’entendre « des tirs d’armes de guerre sur le chantier, ce n’est pas évident » (sic). Raouf Azzouz, directeur du centre social Les mille couleurs situé à Pissevin, raconte que « les choufs sont toujours là, les trafics continuent » et ce malgré les actions policières menées ces derniers mois. L’espoir et les millions d’euros font vivre… Pas certain qu’en repeignant la façade on fasse disparaître la mérule !
Rapatriés d'Algérie
Le point commun de trois de ces quartiers en plein chantier ? Chemin Bas d’Avignon, Mas de Mingue, Pissevin et Valdegour ont été construits dans les années 60 pour accueillir les quelque 12.000 pieds-noirs chassés d’Algérie au cri de « la valise ou le cercueil ». On a même édifié un sanctuaire au Mas de Mingue pour Notre-Dame de Santa Cruz, rapatriée elle aussi avec l’une des cloches d’église de Sidi bel Abbès. Tous les ans, depuis 1966, chaque jeudi de l’Ascension, les pieds-noirs se rassemblent pour un pèlerinage au pied de ce sanctuaire fondé sur le modèle de celui d’Oran en 1851.
Aujourd’hui le Mas de Mingue, Pissevin et le Chemin Bas d’Avignon sont surtout réputés pour leur insécurité, leur trafic de drogue et leurs fusillades. Un demi-milliard d’argent public suffira-t-il à acheter la paix sociale ? Comment ces quartiers construits tout spécialement pour accueillir des rapatriés d'Algérie ont-ils vu leur a population aussi rapidement remplacées par ces hors-la-loi qui y font régner la peur ? Nadège Ollier Guillon témoignait ainsi pour France Bleu Lozère le 18 avril 2023 : « Le climat d’insécurité est quotidien ici, au Mas de Mingue : des enfants se font abattre, le trafic et tout le monde qui ferme les yeux […] des mamans, lorsqu’elles traversent le quartier ne prennent pas des circuits, on va dire, dangereux, elles font des détours face aux trafics ici. Donc oui, il y a de la peur. » Le 24 juin dernier, s’est ouvert aux assises le procès du meurtre d’Abdelkader, jeune de 17 ans, assassiné au Mas de Mingue dans une fusillade sur fond de trafic de drogue. Une bonne ambiance de sereine tranquillité dans cette ville vieille comme le monde... Les pieds-noirs et harkis originels étaient-ils à ce point plus riches que les populations actuelles dans ces trois quartiers pour laisser penser qu’un demi-milliard saura régler tous les problèmes causés par cette délinquance ?
Vous connaissez le symbole de la ville de Nîmes ? C’est un crocodile enchaîné à un palmier, le symbole de la victoire des soldats d’Auguste sur les Égyptiens en 31 av. J.-C., avec l’inscription « Col Nem » ce qui signifie « colonie de Nîmes ». Ce qui est remarquable à Nîmes, c’est que chaque période de l’Histoire a depuis sa fondation laissé son empreinte : le temple de Diane, la Tour Magne, les Arènes, sa cathédrale, ses nombreuses églises, son sanctuaire de Notre-Dame de Santa-Cruz… mais, comme chante Gauvain Sers, que restera-t-il de nous ?
Sybille Riquetti