Le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, a effectué jeudi 21 mars un « contrôle sur pièces et sur place » au ministère de l’Economie et des Finances, après avoir appris dans la presse que le déficit pourrait s’envoler au-delà de 5 % du PIB, et suite à une soirée de réunions de crise à l’Elysée. 20 Minutes lui a demandé de partager ses découvertes.
Pourquoi avez-vous décidé d’un contrôle et comment cela s’est passé ?
C’est simple, on a procédé à l’évaluation et au contrôle des dépenses au titre des pouvoirs dont dispose le Parlement. Pour quelle raison ? La presse a fait état d’une réunion de crise du pouvoir parce qu’un déficit de 5,6 % était annoncé au lieu de 4,9 %. Comme cela ne vient pas du jour au lendemain, j’ai souhaité savoir s’il y avait une antériorité des données et des éléments qui n’avaient pas été portés à notre connaissance. On a été bien reçus à Bercy [ministère des Finances], on a rencontré les services qu’on souhaitait, les directions de services, qui nous ont présenté les éléments. On leur a demandé depuis quand ils avaient les indicateurs, et lesquels.
Qu’avez-vous découvert ?
On a découvert qu’il y avait des indicateurs dès le début de l’automne qui laissaient entrevoir un affaissement des rentrées fiscales de TVA notamment dès octobre, et des notes dès début décembre qui mentionnaient que le déficit risquait de dépasser les prévisions portées dans le projet de loi de finances, donc le budget pour 2024. Je considère qu’il y a eu une rétention d’information, le gouvernement aurait pu faire état de correctifs. Je ne porte pas de jugement, mais ce qui est avéré c’est que le gouvernement aurait pu nous informer, je le constate. Quand la situation se dégrade, on n’explique pas que la croissance va être à 1,4 %. Et d’ailleurs le ministre a prévu une annulation de crédit de 10 milliards d’euros 50 jours après le vote du budget. Or en 50 jours, le monde ne s’est pas subitement écroulé. On a un problème de fonctionnement de notre démocratie. On fait l’examen du budget et on nous laisse travailler avec des hypothèses qui sont fausses. Faire voter un budget et supprimer ensuite 10 milliards d’euros 50 jours après, ça ne s’est jamais vu sous la Ve République.
Vous parlez aussi d’un « déficit jamais connu sous la Ve République à ce niveau hors période de crise ». Mais est-ce que ce déficit n’est pas le résultat de la crise Covid ?
Non, l’impact de la crise Covid n’explique pas du tout le déficit actuel, d’autres pays ont eu la crise Covid et se sont remis sur pied plus vite. Le déficit budgétaire était en moyenne avant 2020 de 90 milliards d’euros, aujourd’hui il est depuis 2020 de 150 milliards d’euros. Si vous ne réduisez aucune dépense et que vous faites pleuvoir des milliards, sans faire d’économies sur rien, c’est une machine infernale. Le gouvernement aura augmenté la dette entre 2017 et 2024 de 900 milliards d’euros, c’est presque un tiers de la dette. La France est le pays développé qui a les dépenses publiques les plus élevées. Et on a un niveau de prélèvements obligatoires plus élevé qu’à la fin du quinquennat de [François] Hollande.
Les prévisions sont de 5,7 % de déficit en 2024, 5,9 % en 2025… Pourquoi c’est grave et quelles peuvent être les conséquences ?
Quand la dette augmente, vous avez des conditions de refinancement de cette dette moins favorables. Quand vous avez de bons résultats, vous avez de meilleurs taux. Derrière c’est la réussite d’un pays, sa vitalité, sa capacité à créer de la richesse [qui est en jeu]… La dette sera le premier budget de l’Etat devant l’Education nationale, la justice, la défense… Nous sommes sur un tapis de bombes.
Que faut-il faire ? Yaël Braun-Pivet propose ce matin une contribution « exceptionnelle » des grandes entreprises en cas de « superprofits » ou de « superdividendes » et LFI veut rétablir l’ISF. Vous êtes d’accord avec l’une ou l’autre de ces propositions ?
On a proposé 7 milliards d’économies dans le dernier budget. Le gouvernement les a repoussées. Mais la situation aujourd’hui est encore plus grave, ça ne va pas suffire. On a besoin d’un peu de temps, et d’abord d’un bon diagnostic. Je ne suis pas Merlin l’enchanteur. La question c’est qu’est-ce que le gouvernement va proposer ? S’il nous donne deux claques, la colère va revenir. La volte-face de celui qui a creusé le trou, c’est un peu léger. On rentre dans une période qui va être difficile. On va essayer d’être utile au service de la France. Ce n’est pas du chacun pour soi qu’il faut, c’est du chacun pour tous. Si on veut ramener de la confiance aux Français, cela ne se fait pas en claquant dans les doigts, il faut recréer un climat. Vous avez un gouvernement qui décide à l’emporte-pièce, sans l’aval des élus locaux, du parlement… Il faut d’abord réinstaurer cette confiance.
Propos recueillis par Aude Lorriaux