
Plusieurs records mondiaux seront établis, dont celui de la vitesse d'un transport guidé à 430,4 km/h, le 5 mars 1974.
C’est fou, ce qui a été inventé en un seul siècle ! Le XXe siècle a plus modifié la vie quotidienne des gens que les vingt siècles précédents. Dans les années 1950, alors que nous étions enfants et que nos parents nous parlaient encore de leurs souvenirs de voitures à cheval, un génial ingénieur travaillait déjà sur l’idée et la mise au point d’un mode de transport terrestre à grande vitesse pour relier les grandes villes éloignées de 100 à 500 kilomètres.
Depuis les années 1980, Français, Allemands, Japonais et Chinois se disputent les records de vitesse sur rail et sur voie à sustentation magnétique (ou Maglev), un principe inventé par un Franco-Américain, Émile Bachelet. Les 600 km/h ont ainsi été atteints. Mais un grand pionnier se cache derrière ces performances…
Multi-inventeur
Cet ingénieur polytechnicien, Jean Bertin (1917-1975), est autant méconnu du grand public qu’il est renommé dans le milieu professionnel, particulièrement en mécanique et en aéronautique. Inventeur et co-inventeur, il a 163 brevets à son actif ! On lui doit, notamment, les silencieux pour avion à réaction, l’avion à décollage vertical ou décollage court pour les porte-avions, le premier inverseur de poussée pour réacteur, le procédé « Turboclair » pour dissiper les brouillards sur les aérodromes, etc.
Un monorail en forme de T inversé
Jean Bertin a surtout inventé l’Aérotrain. Il s’agissait, pour lui, de remplacer la roue sur la voie par la sustentation d’un coussin d’air et d’appliquer sur terre le principe de l’aéroglisseur. L’Aérotrain se déplacera le long d’un monorail de béton en forme de T inversé.
Ce coussin d’air horizontal et latéral a plusieurs avantages techniques : la suspension est réduite à une fine lame d’air de trois à quatre millimètres entre l’appareil et le rail ; sa répartition parfaite est naturellement autorégulée ; sa stabilité est constante en sustentation comme en cas de vent de côté.
Coussin d’air et effet de sol
Pour développer son concept, Bertin fonde, en 1965, deux sociétés d’études : celle de l’Aérotrain et celle des aéroglisseurs marins, dont le Naviplane N500, concurrent de l’Hovercraft britannique. Louis Duthion, un des ingénieurs de son équipe, met en évidence un phénomène inattendu : l’effet de sol, que de nombreux oiseaux utilisent en rasant l’eau face au vent pour diminuer leur effort.
Le groupe Bertin et Cie poursuit son développement de l’Aérotrain, soutenu par les pouvoirs publics et plusieurs organismes d’État grâce auxquels il teste plusieurs prototypes. Un premier monorail est aménagé sur une ligne Paris-Chartres désaffectée depuis la dernière guerre, avec une base à Gometz-la-Ville. Sur un modèle réduit de six places, il établit plusieurs records, dont un à 345 km/heure en 1967. Le turboréacteur a remplacé l’hélice.
Un viaduc de 18 kilomètres
Puis au nord d’Orléans, Bertin fait construire un viaduc de 18 kilomètres à 10 mètres du sol. Plusieurs records mondiaux seront encore établis, dont le record de vitesse d'un transport guidé à 430,4 km/h, le 5 mars 1974. Avec 417 km/h de moyenne sur 3 kilomètres. Soit Paris-Orléans en 15 à 20 minutes.
Une vingtaine de pays dont les États-Unis se déclarent intéressés. La rapidité n’est qu’un des avantages du système : la consommation d’énergie serait diminuée par l’absence de frottement et par la légèreté de l’engin.
L’information fait le tour du monde
L’effet « tapis volant » offre un grand confort aux passagers. L’infrastructure est moins coûteuse que des rails en métal et exige moins de précision. L’usure du rail est nulle du fait du coussin d’air. La sécurité est totale puisque l’aérotrain ne peut dérailler. Pas de passage à niveau. Pour l’agriculture, la voie suspendue permet la circulation des moissonneuses-batteuses. La faune est préservée. L’emprise au sol est très étroite par rapport à une ligne ferroviaire classique. La flore pourra à terme se charger de l’esthétique.
Avis aux curieux
Si vous prenez la route d’Orléans depuis Paris en voiture par la nationale 20, à 100 kilomètres, entre Ruan, Chevilly et Saran, dans les plaines verdoyantes de la Beauce, vous ne pouvez pas manquer les vestiges du viaduc expérimental sur votre gauche, donc à quelques 200 mètres à l’est. Et les plates-formes sur lesquelles l’Aérotrain opérait son demi-tour. En béton armé, il est visible également depuis le train sur la ligne Orléans-Paris. Il est constitué d'environ 900 piliers, espacés chacun d'une vingtaine de mètres et portant des tronçons monoblocs de 120 mètres de long.
Le rêve brisé
Hélas, l’Aérotrain ne franchira pas l’étape commerciale ! Mort-né, il subira la même triste fin que celle du paquebot France, abandonné sur un quai. Malgré le soutien indéfectible du Président Pompidou, la crise pétrolière de 1974 aura raison de l’invention géniale mais jugée quand même énergivore.
Le Président « auvergnat » Giscard d’Estaing, sans doute conditionné par son expérience de ministre des Finances, ne fera pas de sentiment. Il décidera l’arrêt complet de l’Aérotrain. C’est le pire moment pour Jean Bertin, qui croyait voir la fin du tunnel après avoir consacré sa vie à son bijou. L’ingénieur meurt à 58 ans d’un cancer, l’année suivante – ceci expliquant sans doute cela. Et sans savoir que son énorme contribution accélérera les recherches sur le fameux train à grande vitesse (TGV). Lui roulera bientôt, et à l’énergie électrique. Il fera, en 2007, une pointe sur rail jamais enregistrée de 574,8 km/h. Mais c’est une autre grande histoire (à suivre…).
Antoine de Quelen