La question de nos finances publiques a été peu abordée lors de la campagne présidentielle, regrette l’entrepreneur Sébastien Laye. Pourtant, leur mauvaise gestion risque de peser lourdement sur l’économie française, argumente-t-il.
Alors que s’achève une épineuse et inintéressante campagne présidentielle, qui n’a jamais permis de trancher les nœuds gordiens qui nouent notre économie – croissance potentielle atone, chômage endémique, inflation galopante, dette colossale –, il faut replacer les promesses des deux candidats (plusieurs dizaines de milliards d’euros de dépenses nettes supplémentaires par an dans les deux cas) à l’aune de la trajectoire des finances publiques. On dit les Français peu intéressés par le sujet mais ils en subiront les conséquences dans leur porte-monnaie : inflation, pouvoir d’achat, hausse des taux ou encore potentiels futurs impôts pour compenser la situation, etc.
Alors même que nous sortons d’une forte période de croissance post-Covid de dix huit mois, cette manne, essentiellement monétaire européenne, n’a pas été utilisée pour corriger nos déséquilibres budgétaires. A un budget 2020 logiquement très déficitaire (10% du PIB) a succédé un budget 2021 de combat (8%) et un 2022 d’inconscience : voté à 5% à l’automne dernier, l’inflation actuelle et le ralentissement général amènent déjà à l’ajuster à 6,5%. La messe n’est proprement pas dite en la matière et les prévisions de croissance 2022 et 2023 sont révisées chaque mois. Rexecode s’en tient par exemple à 2,8% (conforme aux nouvelles précisions à l’échelle du continent) en 2022 et moins de 1% en 2023. Nous avons voté un budget à 5% de déficit du PIB à l’automne dernier sur une prévision fantasque de croissance de plus de 4%. L’ajustement sera encore plus douloureux pour le prochain budget en septembre avec la menace d’un vrai ralentissement.
Par ailleurs, si l’Europe a jeté aux orties les règles de Maastricht lors de la crise du Covid, les faucons allemands, vent debout contre le quoi qu’il en coûte (sauf au plus fort de la crise sanitaire), réclament leur respect pour 2024. Nous ne les respections pas déjà avant le Covid, et on imagine mal la France se plier à cette nouvelle discipline budgétaire aisément. Ces déficits accumulés ont constitué des dettes publiques à un niveau alarmant : près de 600 milliards d’euros supplémentaires durant le quinquennat Macron, dont les deux tiers non-relatives au Covid. Et ce, pour un résultat catastrophique en termes de croissance, puisque nous aurons à peine glané 140 milliards d’euros de PIB supplémentaires : cinq euros de dette pour chaque euro de PIB, une relation qu’aucun manuel d’économie n’aurait jugé réaliste. Ainsi, le ratio dette/PIB, qui s’est envolé de 100% à 120% du PIB avec la crise, avant de refluer avec la forte croissance de 2021 (vers 112%), devrait repartir à la hausse : les Allemands ont autant dépensé que nous durant la crise, mais en partant eux de niveaux très bas (une dette à 70% du PIB contre 100% chez nous).
Cette trajectoire des finances publiques est complexifiée par l’inflation actuelle et sa boucle rétroactive avec les taux d’intérêt. Les dirigeants, drogués à la douce morphine des taux d’intérêt faibles, ont eu les yeux rivés sur les seuls paiements d’intérêts annuels, à la manière des ménages français surendettés pour leurs prêts immobiliers. Quand la dette publique française coûte 0,4% par an, la charge annuelle de la dette n’est que de trente milliards. Mais chaque 1% supplémentaire coûte quatre milliards de plus en première année, et dix milliards par an en vitesse de croisière (car le stock de dettes est progressivement refinancé). Tous les budgets doivent donc être ajustés : le risque n’est pas celui d’une insolvabilité de l’État (il y a toujours une banque centrale derrière pour acheter sa dette en cas de difficulté), mais d’un ajustement budgétaire brutal pour toucher de l’argent rapidement. Nous avions eu un exemple de ce manque de prévoyance au début du quinquennat Macron, lorsque le gouvernement avait dû trouver un milliard en catastrophe en rognant sur les APL.
Or le mouvement sur les taux a déjà commencé. Si la banque centrale européenne ne prévoit de suivre la FED américaine que plus tardivement (hier, elle a précisé cependant que la hausse de ces taux directeurs pouvait intervenir au troisième trimestre et non plus au dernier), les marchés eux infligent déjà un coût de la dette plus onéreux aux États. Le taux de nos obligations souveraines, négatifs l’an dernier, est passé en quelques jours de 0,6% à 1,3%. Tout se passe comme si les investisseurs, face à une inflation officielle à 4,5% en France, anticipaient déjà une hausse constante de cette inflation au cours des prochains mois et une nécessaire hausse des taux d’intérêt directeurs de la BCE. Le problème est que ces taux des obligations souveraines (bien en avance sur la remontée officielle des taux de la BCE, signalant par ce truchement que cette dernière est en pleine erreur de politique monétaire) impactent nombre de financements : les taux immobiliers français sont remontés vers 1,5% et devraient inéluctablement se diriger vers 2%, les taux des crédits à la consommation se tendent rapidement également. Les problèmes de nos finances publiques ont donc déjà un impact immédiat sur les financements des entreprises et des ménages.
Avec une inflation à 4,5% sur douze mois glissants, qui est à la fois en retard sur nos voisins européens (plus en avance dans le cycle économique, et donc vers 7% d’inflation) et sous-estimée, nous aurions besoin pour juguler ce problème et restaurer le pouvoir d’achat, d’avoir un taux à dix ans autour de 3% (norme historique). Par rapport au niveau 2021, cela veut dire dès 2024 environ 30 milliards d’euros par an à trouver : cela représente par exemple la totalité des nouvelles dépenses (nettes d’économies !) promises par Emmanuel Macron pour son deuxième quinquennat. Le prochain gouvernement va donc, quelle que soit l’issue de la présidentielle, devoir gérer une équation compliquée, avec en toile de fond des revendications sur le pouvoir d’achat, une transition énergétique à financer, des attentes importantes au niveau de la santé, de la réindustrialisation, de l’innovation. Notre croissance est déjà beaucoup plus faible que cette inflation. Le risque est grand qu’à trop avoir éludé le sujet des finances publiques durant la campagne, les deux derniers candidats, adeptes de la pensée magique en économie, ne se retrouvent endigués dans leurs promesses et des rétropédalages humiliants au cours des prochains mois.
Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More