« Il faut pourtant patienter encore durant tout un jour. Mais le 16*, à 17 heures, la minute attendue fiévreusement arrive enfin. Dans le lointain, on aperçoit la forêt des Maures qui brûle. D’un seul élan, sur tous les navires, tandis que montent les couleurs, la Marseillaise éclate, la plus poignante qu’on ait jamais entendue. Les torpilleurs de notre escorte et les croiseurs de l’amiral Jaujard, qui depuis vingt-quatre heures soutiennent de tous leurs feux les premiers assauts de nos alliés, défilent, les équipages rangés à la bande, à contre-bord de mon bâtiment. Dans la splendeur lumineuse de cette soirée d’été provençale, avides, les yeux embués, le cœur étreint, tous regardent la terre qui leur apporte le premier sourire de la France retrouvée. » Ces lignes magnifiques, presque cinématographiques, sont signées du général de Lattre de Tassigny dans son Histoire de la Première armée française, publiée en 1949. La veille, le 15 août, l’opération Dragoon, sous le commandement du général américain Patch, jetait ses forces sur nos belles côtes de Provence : 350.000 hommes, dont 250.000 Français aux ordres de De Lattre. Le débarquement de Provence – celui que l’on appelle, un peu péjorativement, « l’autre débarquement » - commençait. Face aux Alliés, 250.000 Allemands déployés dans le grand sud de la France.
Un débarquement qui faillit ne pas avoir lieu en Provence mais du côté de Trieste, en Italie, afin de « porter la guerre vers l’Europe centrale » alors que la progression des forces alliées en Italie allait à grands pas (les troupes du général Juin, venues d’Afrique, avaient défilé dans Rome le 15 juin après de terribles combats dans le sud de l’Italie). Le général Juin, vainqueur du Garigliano, défendait du reste cette option orientale, comme le raconte le « roi Jean » dans son Histoire : « Du succès lui-même allait naître une menace », écrit-il. Heureusement, le général Eisenhower, commandant suprême des forces alliées, jugeait vitale l’ouverture d’« une seconde grande porte d’accès en France » et eut le dernier mot.
L’armée française invitée à se tailler la part du lion !
Les Américains furent les premiers à débarquer, précédés, dans la nuit du 14 au 15, par des troupes des forces spéciales, notamment françaises, et après un matraquage aérien redoutable. « Faut-il dire avec quelle passion les Français, toujours en mer, durant cette radieuse journée de l’Assomption, recevaient les nouvelles des succès remportés par leurs alliés du 6e corps [américain] », raconte de Lattre. Mais les Français n’allaient pas rester longtemps spectateurs. Après le débarquement entre Cavalaire et Saint-Tropez, c’est la réarticulation, la mise en ordre de marche et le combat. L’objectif, pour l’armée française qui s’appelle encore l’Armée B avant de devenir la 1re armée française en septembre ? Il n’est pas des moindres : attaque du camp retranché de Toulon puis Marseille. Deux môles de résistance allemande mais aussi des ports en eau profonde d'un intérêt stratégique évident pour la suite des opérations. « Toulon, Marseille… L’armée française était invitée à se tailler la part du lion ! », écrit le général vendéen. Un général vendéen qui sera fait citoyen d’honneur de Cogolin, le 17 août. Le second citoyen d’honneur de ce village, proche de Saint-Tropez, puisque le premier avait été Georges Clemenceau, natif, comme de Lattre, de Mouilleron-en-Pareds !
Quant aux Américains du 6e corps, ils reçurent pour mission de progresser directement vers le nord et le nord-ouest en remontant par la vallée du Rhône et la Haute-Provence : le 25 août, les troupes de la 3e division d’infanterie - la fameuse Rock of the Marne, en souvenir de son action héroïque durant la seconde bataille de la Marne en 1918, et qui totalisera plus de 530 jours de combats continus, depuis l’Afrique du Nord, la Sicile, la Provence, la vallée du Rhône, la poche de Colmar, l’Allemagne jusqu’à Berchtesgaden - libéraient Avignon. Toulon et Marseille, malgré de durs combats, seront libérées un mois plus tôt que l’avait prévu la planification minutieuse des Alliés. Quand la gloire s'impatiente et prend le galop ! Le 29 août, les troupes de la 3e division d’infanterie algérienne, commandée par le général de Montsabert, avec notamment les tirailleurs algériens et les chasseurs d’Afrique, mais aussi les Forces françaises de l’intérieur (FFI), défilent sur le Vieux-Port. La veille, de bon matin, une messe solennelle avait été célébrée à Notre-Dame de la Garde en présence des porte-drapeau et étendards de la 3e DIA. Une autre époque...
Nord-Africains et pieds-noirs sous les armes
Faut-il rappeler, ici, que la majorité des troupes françaises qui participèrent au débarquement de Provence, à l’exception de la 1re division française libre (DFL) du général Brosset, provenait de l’Armée d’Afrique ? Cette fameuse « petite Armée d’Afrique de transition que le général Weygand avait reformée et retrempée après l’Armistice, dans une intention qu’il n’avait dissimulée à personne », comme le rappelait le maréchal Juin, dans son discours de réception à l’Académie française, le 25 juin 1953. La moitié de ces troupes étaient d’origine nord-africaine, l’autre moitié d’origine européenne, notamment pieds-noirs. Oui, il fallait le rappeler, quand on se souvient du message du ministre des Armées Sébastien Lecornu, à l'occasion du 8 mai dernier...
Mais laissons au maréchal de Lattre de Tassigny, évoquant la « Victoire de Provence », le soin de conclure. « En imposant à la lutte un rythme extraordinaire de rapidité, en empêchant l'ennemi de jamais se ressaisir et de jouer de ses réserves, nos soldats n'ont pas seulement affirmé leur supériorité et remporté des succès locaux considérables : ils ont littéralement hâté l'heure de la victoire finale. »
Georges Michel