Obsèques nationales de Paul Langevin (1946) et de Frédéric Joliot-Curie (1958)
On a pu le lire ou l’entendre, mais Missak et Mélinée Manouchian ne furent pas les premiers communistes à pénétrer dans le saint des saints républicain. Bien avant eux, la France honorait l’un de leurs camarades, qui plus est, lui aussi, résistant.
Mais la renommée de Paul Langevin tient surtout à son apport considérable au champ scientifique grâce à ses recherches sur le magnétisme, la théorie du mouvement brownien – qui s’attache à décrire celui des particules –, la découverte du sonar ou l’introduction en France de la théorie de la relativité élaborée par son ami Albert Einstein. Paul Langevin, donc, est de suroît une forme de héros quand le président Vincent Auriol signe en 1948, deux ans après la mort du scientifique, le décret qui autorise le transfert de ses cendres au Panthéon.
Scientifique et militant
Arrêté par la Gestapo le 30 octobre 1940 (arrestation retentissante qui motivera la manifestation du 11 novembre, l’un des premiers actes de résistance), il est incarcéré à la prison de la Santé puis révoqué de toutes ses fonctions par le régime de Vichy, avant de finir placé sous surveillance à Troyes, ville où il continue malgré tout de prodiguer son enseignement rigoureux.
Sa fille Hélène est déportée à Auschwitz, avant d’en revenir miraculeusement. Son mari, le physicien communiste Jacques Solomon, a été fusillé au mont Valérien le 23 mai 1942. C’est en voulant rendre hommage à son gendre que Paul Langevin adhère en 1944 au PCF, comme le prolongement naturel du long compagnonnage que cet intellectuel républicain, initiateur avec le psychologue Henri Wallon d’un vaste plan de réforme de l’éducation, avait tissé avec le mouvement progressiste.
Langevin fut tour à tout militant dreyfusard et pacifiste, président de la Ligue des droits de l’homme, fondateur de l’Union rationaliste et du journal la Pensée, président du Groupe français d’éducation nouvelle, entre autres engagements et éminentes responsabilités.
Qui entre donc au Panthéon le 17 novembre 1948, le scientifique, le militant ou le scientifique militant ? Vincent Auriol propose que Jean Perrin, autre brillant scientifique, Prix Nobel de physique en 1926 et compagnon de combat de Langevin, l’y accompagne. Pas membre du PCF, mais humaniste farouche décédé en exil aux États-Unis en 1942, après avoir siégé au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Perrin est cependant honoré comme l’un des siens par la presse communiste.
Une garde d’honneur
Les Lettres françaises, pour marquer le coup, publient un numéro qui encense l’un comme l’autre et l’Humanité consacre une large place aux deux défunts dans son édition du 15 novembre, avec de longs articles signés du Prix Nobel de chimie Frédéric Joliot-Curie et du philosophe Georges Cogniot. Pourtant, le climat politique est pour le moins tendu, et les relations entre le gouvernement et le PCF, exécrables.
Un vent de guerre froide souffle sur le pays, qui vient d’avaliser le plan Marshall, quelques mois après l’exclusion des ministres communistes du gouvernement. En septembre, le bassin minier s’embrase et une grève spectaculaire suscite une répression meurtrière commandée par le ministre socialiste de l’Intérieur Jules Moch.
L’ambiance n’est pas à flatter l’apport des communistes à la vie du pays, quelques années après la Libération et quelques mois après les grandes nationalisations. Dans l’Humanité, on peut lire : « Au lieu du grand appel qu’un gouvernement démocratique aurait dû lancer pour que le peuple participe au solennel hommage, MM. Queuille (chef du gouvernement – NDLR) et Moch n’ont admis qu’à regret la présence des masses populaires par un communiqué sec et froid. » Et le journal d’enfoncer le clou : « La pensée des deux illustres morts (…) est bien le dernier souci d’un gouvernement dominé par la peur du peuple. »
C’est que la famille Langevin a adressé une lettre cinglante au président de la République pour l’informer qu’ils ne se rendraient pas à la cérémonie organisée en l’honneur des scientifiques étrangers venus pour assister au transfert des cendres : « Non seulement le gouvernement a maintenu la date du 17 novembre, qui exclut tout hommage populaire, mais il a imposé la suppression de tout emblème dans le cortège », tonnent-ils. Au lieu du traditionnel dimanche, le gouvernement a retenu un mercredi, jour de semaine, sans vouloir s’en justifier.
De Jacques Duclos à André Marty, toutes les grandes figures communistes se sont retrouvées le mardi soir pour monter une garde d’honneur. Le lendemain, à 9 heures du matin, le cortège peut s’élancer depuis le palaClément Garciais de la Découverte, avant d’emprunter les boulevards Saint-Germain puis Saint-Michel et remonter la rue Soufflot. Mais sans vivat, dans le strict respect d’un protocole bien terne.
Clément Garcia