SANTÉ DES FEMMES - Depuis 2020, 114 femmes ont déposé plainte pour « tromperie » et « blessures involontaires » après la pose d’un implant vaginal
L'essentiel
Le parquet de Paris a reçu « 114 signalements de personnes déclarant avoir subi des désagréments significatifs à la suite de la pose d’implants vaginaux de marques différentes et par des praticiens différents ».
Les plaignantes décrivent des complications qui les affectent au quotidien.
En quoi consiste ce dispositif ? « 20 Minutes » vous explique.
Les douleurs quotidiennes et une souffrance insupportable. C’est ce que décrivent les 114 femmes qui, depuis 2020, ont porté plainte pour « tromperie » et « blessures involontaires » après la pose d’un implant vaginal.
Toutes se sont fait poser des bandelettes, un dispositif médical implantable destiné au traitement de l’incontinence urinaire ou de la descente d’organes. Un dispositif aux indications thérapeutiques strictes, mais qui, chez ces patientes, serait à l’origine de complications douloureuses. En quoi consiste-t-il ? Que rapportent les patientes qui ont porté plainte ? 20 Minutes vous explique.
Des plaintes supplémentaires
Plusieurs dizaines de patientes ont déjà saisi la justice depuis 2020, et une grande partie d’entre elles ont été entendues par les enquêteurs, selon leurs avocates. Et une trentaine d’autres femmes sujettes à des douleurs depuis la pose d’implants censés traiter la descente d’organes ou l’incontinence urinaire ont déposé plainte le 8 juillet dans le cadre de l’enquête menée à Paris pour tromperie aggravée et blessures involontaires, ont fait savoir leurs avocates ce lundi.
« Nous nous réjouissons pour les plaignantes de l’avancée de l’enquête. Mais des femmes continuent à nous contacter (…) ce qui montre que l’ampleur du problème est sans doute encore sous-évaluée », ont réagi Mes Dorothée Bisaccia-Bernstein, Laure Heinich, Hélène Patte et Amandine Sbidian, qui représentent désormais plus d’une centaine de plaignantes. Elles dénoncent des effets secondaires graves liés à la pose de bandelettes sous-urétrales et de prothèses de renfort pelvien, posées par voie vaginale ou abdominale.
Enquête pour « tromperie aggravée et blessures involontaires »
Depuis avril 2021, une enquête préliminaire est en cours pour tromperie aggravée et blessures involontaires au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, confiée à l’Office de lutte contre les atteintes à la santé publique (OCLAESP). A ce stade, le parquet a été destinataire de « 114 signalements de personnes déclarant avoir subi des désagréments significatifs à la suite de la pose d’implants vaginaux de marques différentes et par des praticiens différents », a confirmé lundi le parquet de Paris.
Ces dispositifs médicaux, développés depuis la fin des années 1990, sont destinés au traitement de l’incontinence urinaire et des prolapsus (descente) des organes pelviens. Les plaignantes soutiennent que les laboratoires ont sciemment minimisé voire dissimulé les risques de leurs dispositifs contenant du polypropylène, notamment les difficultés – même l’impossibilité – de les enlever.
Des indications strictes
Depuis 2019, la pose des implants pour le prolapsus par voie vaginale est suspendue en France. Ceux posés par voie abdominale et certaines bandelettes sous-urétrales sont toujours autorisés et leur pose est désormais encadrée. « L’opération qui consiste à poser des bandelettes est bien codifiée, elle répond à une indication particulière stricte : le traitement de l’incontinence urinaire d’effort, explique le Dr Odile Bagot, gynécologue et autrice de Vagin et Cie, on vous dit tout ! (éd. Mango). On n’opère une femme avec des bandelettes que si le diagnostic précis, établi par épreuves urodynamiques, démontre que la cause de l’incontinence urinaire justifie une telle prise en charge, qui est proposée en dernière intention ».
En pratique, « l’incontinence urinaire d’effort se caractérise par une fuite involontaire d’urine survenant à l’occasion d’un effort tel que la toux, le rire, l’éternuement, la marche, le changement de position, le soulèvement de charges, ou toute autre activité physique augmentant la pression dans l’abdomen, détaille le ministère de la Santé. Deux mécanismes principaux en sont à l’origine : un affaiblissement des tissus et des muscles du périnée chargés de soutenir l’urètre (le canal allant de la vessie à l’orifice urinaire, permettant l’évacuation de l’urine). Ou une faiblesse du sphincter de l’urètre (le muscle chargé d’assurer l’étanchéité de la vessie) ». Une intervention « qui pour une majorité de patientes permet de résoudre efficacement les problèmes d’incontinence », souligne le Dr Bagot.
Des signalements en hausse
Toutefois, « bien que rares, les complications de ces interventions peuvent être sévères », reconnaît la Haute autorité de santé (HAS), qui « publie des recommandations visant à mieux les reconnaître et à les prendre en charge, de façon pluridisciplinaire et dans le cadre d’une décision médicale partagée avec les patientes. Au cours de ces dernières années, la chirurgie de l’incontinence urinaire ou du prolapsus, et notamment l’utilisation d’implants de renforts prothétiques, a conduit à la survenue de complications parfois graves chez les femmes opérées ».
Des complications rapportées à l’ANSM, qui assure le suivi des signalements de matériovigilance, qui consiste à surveiller les incidents pouvant survenir lors de l’utilisation d’un dispositif médical. « En France et en Europe, le nombre de signalements de matériovigilance reste faible, mais une sous-déclaration ne peut pas être exclue, rapporte l’ANSM. En effet, ces dispositifs peuvent occasionner des complications parfois graves comme des douleurs post-opératoires, l’extrusion de l’implant, l’érosion des tissus avoisinants ou des infections ».
Et, « après avoir diminué en 2020, le nombre de signalements d’effets indésirables rapportés après la pose d’un ou de plusieurs implants a de nouveau augmenté en 2021, puis en 2022, poursuit l’agence du médicament. Par ailleurs, depuis 2020, les incidents post-opératoires représentent plus de 80 % des signalements d’incidents ».
« Je sens une râpe qui me déchire le vagin »
Parmi les effets indésirables rapportés par les plaignantes : incontinence, infections, saignements, lésions, douleurs chroniques. Lancé par Anne-Laure Castelli, l’une des plaignantes, le collectif « Balance ta bandelette » regroupe à ce jour plus de 1.000 personnes – estimant que le taux de complication lié à ces dispositifs demeure sous-évalué en France. Et met en lumière les témoignages de patientes, qui trouvent dans ce collectif un espace où la parole se libère et où elles peuvent trouver du soutien.
Parmi celles qui y partagent leur histoire, toutes ont en commun de vivre un quotidien devenu infernal depuis la pose de cet implant. « Je sens une râpe qui me déchire le vagin, ma colonne vertébrale me brûle, la douleur est tellement intense que je n’arrive plus à respirer », décrit l’une des femmes qui partage son témoignage auprès du collectif, et à qui le gynécologue aurait indiqué que son « problème » était d’ordre « psychiatrique ». Une autre patiente raconte avoir « une chirurgie avec bandelette pour incontinence urinaire, puis plusieurs réinterventions pour retirer des nécroses, repositionner la vessie et l’urètre, avec comme résultat une aggravation de l’incontinence. Ma vie s’est arrêtée il y a dix ans. Aujourd’hui, je suis une coquille vide ».
A 47 ans, « cela fait 2 ans et 8 mois que je me lève et que je me couche en souffrant terriblement. Il ne se passe pas une seule seconde sans avoir l’impression que l’on me lacère le fond du vagin, les muscles fessiers me brûlent, les douleurs diffusent dans les cuisses… Dans les moments de douleurs les plus intenses, je n’ai plus envie d’être là tellement tout cela est insupportable », confie l’une d’entre elles.
« On se bat pour toutes ces femmes, pour que ces bandelettes soient interdites », a rappelé Anne-Laure Castelli. Hors de nos frontières, des procédures ont été menées dans le monde anglo-saxon et plusieurs laboratoires ont payé de lourdes amendes, notamment aux Etats-Unis, pour solder les poursuites. Là-bas, les prothèses posées par voie vaginale y ont été classifiées à « haut risque » en 2016 et interdites en 2019.
Anissa Boumediene