Leslie Varenne : « L’échec de la méthode Macron »
La France a engagé des troupes au Sahel pour combattre les islamistes dès 2013. D’abord l’opération Serval, puis Barkhane. Cinquante-huit militaires français ont été tués. Finalement, l’échec de la France est patent. Comment l’expliquez-vous ? La médiocrité de nos élites ?
La France s’est engagée en 2013 dans une guerre contre le terrorisme, or toutes ces entreprises ont échoué. Personne n’a réussi à gagner une guerre asymétrique. Prenez l’exemple de l’Afghanistan. La première erreur a été faite par François Hollande en lançant l’opération Serval en 2013 qui, dans un premier temps, a été une réussite, parce que l’objectif était clair : il s’agissait de récupérer des territoires. Après, il n’y avait pas de vision politique de ce qu’allait être la suite. Comme toujours dans ce cas, les djihadistes éparpillés un peu partout reviennent, se réorganisent, changent de stratégie.
À la décharge d’Emmanuel Macron, quand il arrive au pouvoir, les blindés français sont déjà ensablés. Année après année, la situation n’a cessé de se détériorer. Mais, dès qu’il arrive au pouvoir en 2017, la première erreur d’Emmanuel Macron consiste à ne pas faire le bon diagnostic de l’échec, à ne pas remettre en cause le concept de guerre contre le terrorisme. En outre, il garde les outils que François Hollande lui a légués, notamment l’opération Barkhane, la suite est désormais connue…
Vous écrivez : ‘’ Ce livre est l’histoire d’un président qui ne sait pas qu’il ne sait pas’’. Quelle est la responsabilité personnelle ‘’d’Emmanuel au Sahel’’ ?
On peut dire qu’il existe une méthode Macron qui consiste à décider le plus souvent seul, à faire abstraction de l’écoute, de la réflexion, du dialogue, de la complexité des situations et des attentes des partenaires. Puis une fois qu’il se retrouve devant les difficultés, il privilégie toujours des solutions sécuritaires et autoritaires au lieu de faire appel à la diplomatie. Cette méthode ne s’est pas appliquée seulement au Sahel, elle a été employée dans toutes les crises depuis sept ans, des gilets jaunes à la Nouvelle-Calédonie en passant par le Niger.
Vous dites que la déroute de la France au Sahel engendre de graves conséquences sur sa place au sein des institutions internationales. Pourriez-vous nous expliquer ?
L’échec sahélien entraine un effacement de la France sur la scène internationale, notamment de sa place au sein des Nations Unies. À elle seule, hors grande crise internationale, comme l’Ukraine et Gaza, l’Afrique occupe environ 60 à 70% de la charge de travail de l’ONU et la diplomatie française rédige 80% des résolutions concernant le continent. Désormais, quelle sera la légitimité de la France pour occuper ce rôle-là ? Sans parler des 14 voix des pays francophones qui depuis les indépendances joignaient leur vote à celui de Paris. Dorénavant cette période est révolue, il est même étonnant que cela ait pu durer 60 ans. Nécessairement cela entrainera d’autres réactions en chaine, avec un affaiblissement du poids de la France au sein de l’Union européenne, etc.
Où en sont les relations entre la France et le Mali ?
S’il n’y a pas eu de rupture de relations diplomatiques à proprement parler, les relations sont quasiment inexistantes comme dans d’autres pays du Sahel, au Burkina Faso et au Niger. Dans ces trois pays-là, il n’y a plus d’ambassadeurs, le retour à des relations diplomatiques normales et apaisées ne sont pas à l’ordre du jour. Paris vient de faire un geste en reprenant la délivrance des visas pour les Maliens qui veulent venir en France. Bamako, de son côté, vient d’autoriser le renouvellement d’une partie du personnel de l’ambassade, c’est un petit pas, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire…
Qui remplace la France en Afrique ?
Le monde a changé. Il n’y a plus de zones d’influence. Chacun fait ce qu’il veut. Les gouvernements ne sont plus dépendants de la France, ils ont le choix de leurs partenaires. Tout le monde convoite le continent africain et pas seulement les Russes. Les Turcs sont très présents, au cours de la dernière année, l’Iran a fait aussi son apparition notamment au Burkina, au Niger, au Soudan, il faut compter aussi avec les États du Golfe, la Chine, l’Inde, toute la planète est là. La France fait désormais face à une réelle concurrence.
Au Tchad, Mahamat Déby, le fils de son père, vient d’être élu à la présidence de la République, au terme d’un scrutin très contesté. Or, Mahamat Déby s’est rapproché de la Russie. Quelles sont les conséquences pour la France et pour l’Europe de l’élection du fils Déby au Tchad ?
Dans le livre, j’appelle le chapitre sur le Tchad « Le sparadrap du Président ». Le fait qu’Emmanuel Macron ait adoubé Mahamat Déby lors de sa prise de pouvoir anticonstitutionnelle après la mort d’Idriss Déby, est une épine dans le pied de la France. Une fois installé au pouvoir, Mahamat Déby a très bien joué. Il a conscience des points faibles de Paris, il sait que son pays est la dernière carte de la France au Sahel et joue magistralement de la concurrence. Il s’est rendu en Russie pour une visite d’État où il a été reçu avec tous les apparats. Il a ainsi envoyé un signal aux Occidentaux. Ensuite, il a organisé une élection présidentielle jouée d’avance. Le scrutin du 6 mai dernier n’a été ni transparent ni crédible, pourtant la France l’a validé en saluant « l’engagement démocratique » ! Les États-Unis ont publié un communiqué plus critique, mais la finalité est la même, ils ont, eux aussi, reconnu Mahamat Déby comme Président. Que pouvaient-ils faire d’autre ? Ni Paris, ni Washington ne veulent prendre le risque de perdre le Tchad, un pays stratégique, passerelle entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Quel est l’avenir de l’Afrique selon vous ?
L’Afrique est un continent avec une forte démographie où environ 70% de la population à moins de 35 ans. C’est un continent qui a énormément d’atouts, mais en même temps qui a énormément de défis à relever. Notamment celui de l’électricité, ceux des infrastructures, des conflits… L’Afrique, ce sont 55 États, certains s’en sortiront très bien, pour d’autres, ce sera plus compliqué. Dans l’état du monde actuellement où tout va très vite, il est difficile de faire des prévisions, d’autant qu’il faudrait faire un état des lieux État par État. En revanche, il y a une constante dans tous les pays dans lesquels je me suis rendue ces dernières années, y compris dans ceux en proie à des conflits. Malgré les difficultés, il y a une énergie incroyable et les populations croient en des lendemains meilleurs. C’est un vrai contraste avec l’état d’esprit déclinant de la vieille Europe où tous pensent qu’hier était mieux que le sera demain, tous les Africains que je rencontre ont foi en l’avenir.
*Leslie Varenne est journaliste d’investigation depuis plus de 20 ans. Spécialiste reconnue de l’Afrique, elle est l’auteur de nombreux ouvrages dont ‘’Abobo-la-guerre : Côte d’Ivoire, terrain de jeu de la France et de l’ONU’’.
Marcel Gay