LE GRAND FLOP - La liste Renaissance n’obtient que 6 % d’intentions de vote chez les jeunes pour les élections européennes de ce dimanche 9 juin, très loin de Jordan Bardella et derrière les candidats de gauche.
L'essentiel
Si la liste Renaissance, conduite par Valérie Hayer, se place en deuxième position des sondages avant les élections européennes de dimanche, elle fait un score très faible chez les 18-25 ans.
Par le passé, Emmanuel Macron a pourtant fait campagne sur le thème du « président des jeunes », et forme avec Gabriel Attal le couple exécutif le plus jeune de la Ve République.
Entre répression des manifestations, déception sur la politique climatique et poussée de l’extrême droite, le fossé s’est creusé entre la Macronie et les jeunes.
Emmanuel Macron, président des jeunes. Tel était le slogan, déjà entendu pendant la campagne 2017, mis en avant par les Jeunes avec Macron avant l’élection présidentielle 2022. Deux ans plus tard, c’est la douche froide : moins de 6 % des 18-25 ans envisagent de voter pour la liste menée par Valérie Hayer, dimanche aux élections européennes. Loin, très loin derrière les 32 % d’intentions de vote pour Jordan Bardella, et bien en dessous des 17 % en faveur de Manon Aubry, selon une enquête de l’Ifop.
« C’est une polarisation qu’on avait déjà vue lors de la présidentielle, mais là c’est encore plus notable, il y a un effondrement de LREM par rapport à 2019 », relève Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. A l’époque toutefois, les jeunes votaient déjà moins pour la liste macroniste que d’autres classes d’âge. « L’intérêt est très faible pour la liste d’Emmanuel Macron dans une jeunesse très divisée », confirme Sophie Jehel, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8.
Libéralisme contre nationalisme, le match ne prend pas
Si « le vote a toujours été moins central dans l’action politique » des jeunes, rappelle Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’université de Montpellier, la tendance s’est accentuée ces dernières années. « Le paysage politique n’est pas celui d’il y a dix ans, Emmanuel Macron propose un affrontement libéralisme contre nationalisme » qui ne convient pas à une grande partie de la jeunesse, selon elle. « L’action sociale, les ONG et les mouvements sociaux apparaissent plus légitimes pour participer » à la vie politique.
Pourtant, « le gouvernement a pris quelques mesures sur lesquelles les jeunes de gauche pouvaient être sensibles, comme l’IVG dans la Constitution », relève Sophie Jehel. « On vient de mettre en place le pass rail, il y a le pass culture, un plan d’investissements d’avenir », plaide pour sa part Allan Bouamrane, conseiller national chez les Jeunes avec Macron. Mais le compte n’y est pas.
Le fantôme de Mantes-la-Jolie
« Quand on voit les réformes proposées en ce moment, comme la réduction de l’assurance-chômage, ce n’est pas très intéressant pour les jeunes », particulièrement soumis à la précarité, soulève Sophie Jehel. « Pour les primo votants, il y a deux sujets sur lesquels la majorité n’a pas un bon bilan : le climat, avec un pouvoir perçu comme pas assez indépendant des lobbys, et la lutte contre les discriminations », indique Frédéric Dabi. L’environnement apparaît d’ailleurs en troisième position des thèmes déterminants à l’élection pour les jeunes (45 %), juste derrière le pouvoir d’achat et la santé.
D’ailleurs, pour une génération qui se dit « anxieuse » (32 %) et « révoltée » (21 %) face à la société actuelle, selon l’enquête de l’Ifop, la répression grandissante des manifestations a pu « laissé des traces », pointe Sophie Jehel. L’image des lycéens de Mantes-la-Jolie, les mains sur la tête, ou les violences policières dénoncées en marge des manifestations contre la réforme des retraites restent en mémoire. « On a une jeunesse qui s’est beaucoup mobilisée, face à des dérives répressives. Forcément, ce ne sont pas des cultures qui s’accordent », résume Emmanuel Reungoat.
Bardella, un succès fou sur TikTok
Mais cela ne vaut que pour la jeunesse qui s’est tournée vers la gauche. L’orientation, plus récente selon nos experts, d’une partie des jeunes vers Jordan Bardella s’explique autrement. D’une part, la jeunesse n’échappe pas au phénomène général d’un « renforcement de discours désinhibés racistes, misogynes, homophobes sous couvert de liberté d’expression », pointe Sophie Jehel. Au cœur de cette sympathie montante pour le RN, la jeune figure de Jordan Bardella « alimente l’idée d’une dédiabolisation du RN, d’une rupture avec le passé, alors que ses arguments restent ancrés dans l’histoire de l’extrême droite », développe-t-elle.
Par ailleurs, « le RN a beaucoup travaillé pour toucher les jeunes via les réseaux sociaux. Même s’il n’y a pas de conversion pour ceux qui sont déjà politisés, ça a une efficacité », relève Emmanuelle Reungoat. Une bonne inspiration, puisque « derrière la télé, Instagram et TikTok deviennent des sources d’information et de politisation majeure chez les jeunes », constate Frédéric Dabi. Jordan Bardella a ainsi fait de TikTok une arme de séduction massive, avec environ 1,3 million de followers.
Il y a quelques années, c’est Jean-Baptiste Djebarri qui faisait fureur sur la plateforme, au profit de la majorité présidentielle. Mais l’ancien ministre des Transports a depuis quitté la politique. Dans le match des jeunes, la Macronie a alors tout mis sur Gabriel Attal, « arme anti-Bardella ». Sans vrai succès, malgré des vidéos avec TiboInShape, youtubeur le plus suivi mais au public très masculin, voire masculiniste. « Gabriel Attal fait des scores comparables à Jordan Bardella, mais c’est moins percutant », défend Allan Bouamrane. Face à la pensée complexe et au refus d’un « discours simpliste » côté Attal, le conseiller national des JAM fustige un Bardella « qui essaye de faire du buzz comme s’il était à la "Star Ac" ».
L’erreur du camp macroniste est peut-être d’avoir choisi le mauvais adversaire. « Le fait d’ériger le RN en concurrent principal lui a donné de la place et une légitimité », estime Emmanuelle Reungoat. Enfin, pour les jeunes, Jordan Bardella fils d’un patron de PME ayant vécu en HLM permet une « proximité identificatoire » beaucoup plus importante que Gabriel Attal, millionnaire sorti de l’Ecole alsacienne, pointe Frédéric Dabi. Pourtant, Allan Bouamrane assure voir un « fort renouvellement chaque année » chez les JAM, avec des adhérents de plus en plus jeunes. La jeunesse macroniste se cacherait-elle des sondeurs ? Réponse dimanche.
Xavier Regnier