Largement en tête au soir du premier tour, le RN n'est pas parvenu à obtenir une majorité relative, et encore moins une majorité absolue. La formation d'extrême droite envoie cependant à l'Assemblée un nombre record de députés. Un succès, malgré la défaite, qui témoigne de ses forces et de ses faiblesses dans son entreprise de conquête du pouvoir.
Ils seront désormais 125 sur les bancs de l’Assemblée nationale française, et 143 avec leurs alliés ciottistes. Le parti de Marine Le Pen a dépassé de façon spectaculaire son record de 2022, selon les résultats complets – encore non définitifs – du ministère de l'Intérieur.
Loin de la majorité espérée à l'issue du premier tour, le Rassemblement national devient toutefois le premier parti à l'Assemblée. "La percée a été contenue mais non stoppée", commente Arnaud Benedetti, le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. "On peut donc considérer que le Rassemblement national s'installe de manière forte dans le paysage parlementaire. Fort de cette position acquise aujourd'hui, il va essayer de renforcer ces assises pour les prochaines élections [la présidentielle de 2027]", souligne l’auteur du livre "Aux portes du pouvoir. RN, l’inéluctable victoire ?" (Michel Lafon, avril 2024).
Le deuxième tour des législatives anticipées, le 7 juillet, a montré que les élus du Rassemblement national s'enracinent. Les députés sortants ont pour la plupart gardé leur siège : sur les 89 circonscriptions qui avaient envoyé à l'Assemblée nationale un député RN en 2022, 81 l'ont reconduit (33 dès le premier tour et 48 au second).
Parmi les circonscriptions perdues, il y a la 5e de Gironde, où la socialiste Pascale Got a repris le siège du député RN sortant Grégoire de Fournas, qui avait été exclu temporairement de l'Assemblée fin 2022 pour des propos jugés racistes.
L’extrême droite diffuse ses idées
L’autre bataille gagnée par l’extrême droite est celle des idées, ont souligné dès l’annonce des résultats plusieurs commentateurs de la vie politique française, dont la journaliste Salomé Saqué, autrice de "Sois jeune et tais-toi" (Payot, 2023). "La parole raciste s’est libérée. Des dizaines d’agressions physiques recensées partout en France, accompagnées d’insultes racistes", a-t-elle souligné sur les réseaux sociaux. Durant cette campagne relève-t-elle, le RN a aussi imposé ses thématiques : "insécurité, immigration et son vocabulaire".
Pour Arnaud Benedetti, le résultat de ces législatives reste avant tout marqué par "un échec" de l’extrême droite "au regard du contexte et des projections qui prédisaient leur large victoire".
En tête dans 258 circonscriptions sur 577 au soir du premier tour, le RN a été relégué à la troisième place, derrière le NFP et le camp présidentiel.
Car au second tour, le RN s'est pris de plein fouet le "front républicain". Les désistements en cascade ont permis d'éviter des triangulaires qui auraient été à l'avantage du parti de Jordan Bardella : sur les 11 où le RN était en tête au premier tour, une seule lui a échappée.
"La mécanique de désistement propre au front républicain a fonctionné plus que l'on ne imaginait", estime Arnaud Benedetti. Et le RN impute d'ailleurs la faute à ce que Jordan Bardella a qualifié dimanche soir d"'alliance du déshonneur". "Ce soir, ces accords jettent la France dans les bras de l'extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon", a-t-il ajouté lors d'une allocution au siège du RN.
L'extrême droite exploite ainsi la rancœur envers les partis traditionnels, un sentiment sur lequel elle a toujours surfé. "Ils vont certainement capitaliser sur ce qui sera perçu par une partie de leur électorat ou des gens qui étaient susceptibles de voter pour eux comme ce qu'ils appellent 'un vol'", estime Arnaud Benedetti.
Si la stratégie du barrage a encore fonctionné, "tout ce qui fait les racines du vote du Rassemblement national subsiste", prévient le journaliste politique. "La question du pouvoir d'achat, de l'ordre public, des départements et des régions périphériques… Tout cela, ne va pas disparaître miraculeusement avant 2027."
Manque de professionnalisation et propos racistes
D’autres éléments cumulés peuvent expliquer la défaite du RN, selon le journaliste politique : "La professionnalisation insuffisante de leurs candidats durant la campagne a joué contre eux et a pu dissuader les électeurs de voter pour eux."
Sur France 24, la journaliste de France Culture Nora Hamadi souligne "les erreurs du staff du RN", qui n’a pas su empêcher des prises de paroles, "ayant fait émerger la réalité raciste et xénophobe de ce parti".
Quant au profil de Jordan Bardella, il a pu être considéré par certains sympathisants "comme insuffisamment préparé à occuper la fonction de Premier ministre", ajoute Arnaud Benedetti.
Le débat sur la binationalité pourrait également avoir freiné la progression du RN, estime le journaliste spécialisé.
Pourtant, le député sortant de la deuxième circonscription du Loir-et-Cher Roger Chudeau, qui avait estimé durant la campagne que la nomination de l'ancienne ministre socialiste de l'Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, une "Franco-marocaine", avait été "erreur", en évoquant plus largement un risque de "double loyauté" des binationaux, a bien été réélu.
Marine Le Pen, qui avait désavoué Roger Chudeau après ces propos, n'avait toutefois pas précisé dans quelle catégorie elle rangeait le fautif, selon son distinguo entre des propos "inadmissibles", qui doivent entraîner "très certainement des sanctions", et des "maladresses", en référence par exemple à une candidate en Mayenne qui avait récusé tout forme de racisme dans son parti en mettant en avant son "ophtalmo, un juif" et son "dentiste, un musulman". L'intéressée s'est finalement largement inclinée au second tour.
Devant la liste de ses candidats aux propos litigieux, le parti lepéniste avait renvoyé à la difficulté d'investir des candidats dans le temps très contraint provoqué par la dissolution de l'Assemblée. Désormais, le nouveau groupe parlementaire va devoir se pencher sur le cas de plusieurs de ses nouveaux députés épinglés ces derniers jours pour des sorties racistes, climato-sceptiques ou complotistes.
Jordan Bardella, confronté aux déclarations d'un député sortant de l'Yonne, Daniel Grenon, qui avait lâché mercredi qu'un "Maghrébin binational" n'a pas "sa place dans les hauts lieux", avait condamné des "propos abjects" et promis la tenue d'une "commission des conflits" au sein de son parti.
"Tous ceux qui tiennent des propos qui ne sont pas conformes à mes convictions seront mis à la porte", avait-il assuré, en évoquant "cinq brebis galeuses". Faut-il désormais considérer Daniel Grenon, réélu dimanche soir, comme un député non-inscrit et non un membre du groupe RN, comme Jordan Bardella semble l'indiquer ?
Avec 125 sièges dans le nouvel Hémicycle, le Rassemblement national va-t-il se séparer de ses "brebis galeuses" pour s'institutionnaliser un peu plus et réussir à lisser son image en vue de la prochaine échéance électorale ?
La Rédaction avec AFP