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L'ARCOM : un organisme macroniste desgtiné à censurer la démocratie

Roch-Olivier Maistre : « L’Arcom n’est ni une police de la pensée ni un tribunal de l’opinion

Article de Propos recueillis par Olivier Ubertall

Quand il nous reçoit dans son bureau neuf du bâtiment Daum'n, dans le 12e arrondissement de Paris, où l'Arcom a déménagé, Roch-Olivier Maistre a déjà fait ses cartons. ?il pétillant et costume impeccable, le président du gendarme de l'audiovisuel quittera l'autorité publique le 1er février. Il réintégrera pour quelques mois son corps d'origine, la Cour des comptes, avant de prendre sa retraite. L'occasion d'avoir plus de temps pour aller au théâtre, sa passion, peut-être pour voir Le Soulier de satin de son ami Éric Ruf, lui qui a assisté à la version d'Antoine Vitez en 1987.

Arrêt de C8 et NRJ12, non-fusion entre TF1 et M6, mise en ?uvre de la décision du Conseil d'État sur le pluralisme, nouvelle numérotation des chaînes? Les chantiers n'ont pas manqué durant son mandat. Les polémiques et les critiques contre l'Arcom non plus. Roch-Olivier Maistre y répond.

Le Point : Que retenez-vous de votre mandat de six ans à la présidence de l'Arcom ?

Roch-Olivier Maistre : L'Arcom a beaucoup évolué. Elle n'est plus un gendarme, mais une véritable autorité de régulation, reconnue pour son action et sa capacité à accompagner les mutations du secteur audiovisuel. Nous sommes auprès des éditeurs dans un contexte hyperconcurrentiel, en veillant à la fois à leur indépendance et à leur modèle économique. Notre travail est d'assurer un équilibre entre innovation, diversité et responsabilité.

Durant ces six années, nous avons fusionné deux entités ? le CSA et l'Hadopi ? pour créer l'Arcom, avec des compétences élargies et une indépendance renforcée. Nous avons déployé la radio numérique DAB +, intégré des acteurs comme Netflix, Amazon et Disney dans le financement de la création française (avec 866 millions d'euros supplémentaires en trois ans), bloqué près de 8 000 sites de piratage sportif, etc.

Deux chaînes, C8 et NRJ12, vont disparaître du PAF. Vouliez-vous taper du poing sur la table pour la fin de votre présidence ?

Pas du tout ! Les Français vont découvrir deux nouvelles chaînes, qui vont participer du pluralisme. Un acteur au statut associatif porté par un groupe de presse quotidienne régionale, Ouest-France, et T18, la chaîne du groupe CMI de Daniel Kretinsky. N'oublions pas que les fréquences sont des biens publics appartenant à la nation et qu'elles sont attribuées gratuitement. Ces fréquences ne sont pas accordées à vie, mais pour dix ans, renouvelables pour cinq ans avant d'être remises en compétition au terme des autorisations.

En 2024, il y avait 24 candidats pour 15 fréquences. L'Arcom a analysé les dossiers au regard de la loi, qui encourage le pluralisme, afin qu'il y ait le plus d'éditeurs différents possibles, dans l'intérêt du téléspectateur. Nous avons également regardé le respect par les éditeurs de leurs obligations et la crédibilité de leurs engagements à cet égard. Le moins que l'on puisse demander à un éditeur à qui on donne gratuitement un bien public, c'est de respecter ses obligations.

C8 et NRJ12 étaient pourtant installées depuis des années, en particulier C8, dont la part d'audience a atteint 3,1 % en 2024, à égalité avec TMC et devant Arte?

On ne peut pas avoir une approche libérale et renoncer à la concurrence. Aujourd'hui, il existe une tension sur le marché publicitaire créée par les grands acteurs du numérique qui est telle qu'on ne peut pas accroître le nombre de chaînes sur la TNT financées exclusivement par la ressource publicitaire. Les appels à candidature permettent de rouvrir le jeu, comme l'a montré la candidature de Xavier Niel pour M6 en 2022. Si on veut que les fréquences soient attribuées à vie, il faut l'écrire dans la loi. Mais cela contribuerait à verrouiller le jeu durablement.

La nouvelle numérotation, avec quatre numéros vacants à pourvoir, deux nouvelles chaînes à intégrer, et la nécessité de respecter une logique économique et thématique, était un véritable Rubik's Cube. Nos choix visent avant tout à garantir une expérience fluide pour les téléspectateurs, tout en restant neutres économiquement.

Si l'Arcom était dans l'abus ou dans l'excès, elle serait immédiatement censurée par le Conseil d'État auquel sont soumises toutes ses décisions.

Certains accusent l'Arcom de trop s'immiscer dans les choix éditoriaux des médias. Que leur répondez-vous ?

Que c'est une idée fausse. L'Arcom n'intervient jamais ni dans l'éditorial ni dans les choix stratégiques des rédactions. Nos interventions sont rares et limitées à des cas bien caractérisés, comme des manquements aux obligations légales ou conventionnelles. Le régulateur applique la loi, si la réglementation est jugée trop contraignante, c'est au législateur de la changer.

On a quand même parfois l'impression que l'Arcom restreint plus la liberté qu'elle ne la protège?

Ce n'est pas le cas, car la mission première de l'Arcom est d'abord de protéger la liberté de communication. N'oublions pas que la loi de 1986 est une loi d'inspiration libérale. À cette époque, la télévision et la radio étaient entre les mains de l'État. Aujourd'hui, le paysage audiovisuel s'est considérablement ouvert. Le régulateur est saisi tous les jours et intervient en réalité très peu. Contrairement à ce que certains pensent, nous ne sommes ni une police de la pensée ni un tribunal de l'opinion. Quand certains disent que le régulateur deviendrait une autorité de censure, c'est une contre-vérité qui ne correspond en rien à son activité quotidienne.

La loi de 1986 autorise les polémiques, la confrontation des idées, l'ironie, l'insolence et tout ce qui fait la liberté d'expression? Si l'Arcom était dans l'abus ou dans l'excès, elle serait immédiatement censurée par le Conseil d'État auquel sont soumises toutes ses décisions. N'oublions pas qu'au regard de la liberté de communication, la loi pose un principe de responsabilité des éditeurs. On ne peut ainsi pas véhiculer sur les antennes des incitations à la haine ou à la violence, de propos racistes ou antisémites, des contenus portant attente à la dignité de la personne humaine, des injures ou des diffamations? C'est un équilibre subtil entre liberté et responsabilité qu'il faut préserver dans cette période de radicalisation et de polarisation du débat public.

Ne faudrait-il pas desserrer l'étau autour du pluralisme interne de nos médias face à des géants du numérique qui échappent beaucoup au contrôle ?

Le Premier ministre a annoncé un projet de loi pour tirer les enseignements des États généraux de l'information. Ce texte se penchera peut-être sur la question. La loi de 1986 a posé l'exigence de pluralisme interne à un moment très particulier, celui de la privatisation de TF1, et alors qu'il y avait très peu de chaînes de télévision. Il fallait donc imposer une obligation de pluralisme interne sauf à créer un risque de déséquilibre majeur dans le débat public. Aujourd'hui, où il y a une asymétrie entre les médias traditionnels très régulés et des acteurs du numérique qui le sont beaucoup moins, la question mérite d'être posée, mais c'est au législateur de traiter cette question.

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N'y a-t-il pas urgence quand on voit les groupes français attaqués sur leur marché par les plateformes numériques et les réseaux sociaux ?

La véritable urgence est celle du pluralisme externe, c'est-à-dire la diversité des titres de presse, des radios et des télévisions. Le modèle économique de ces acteurs est menacé par la domination croissante des géants du numérique. Plus de 50 % de la publicité est captée par des plateformes comme Google, Meta ou Amazon. D'ici à 2030, ce chiffre pourrait atteindre 65 %.

L'Europe en fait-elle assez face à ces géants ?

L'Union européenne a pris des mesures ambitieuses avec le Digital Services Act (DSA), qui demande aux plateformes de lutter contre les contenus illicites pour un Internet plus sûr et responsable. Ce sera un travail de longue haleine, mais nous avons désormais un cadre solide et équilibré entre liberté d'expression et protection des publics. La Commission européenne joue un rôle central dans l'application de ce règlement. Les premières enquêtes engagées sur des géants comme X (anciennement Twitter) ou Meta sont en cours.

Nous sommes au début de l'histoire, la régulation audiovisuelle a 40 ans, celle des grands acteurs du numérique n'a que quelques mois. Néanmoins, elle commence à porter ses fruits. Prenez TikTok, qui avait prévu de déployer une application (TikTok Lite) encore plus addictive : après enquête, le projet a été abandonné. C'est un signal fort.

Ne faut-il pas aller plus loin ?

Le cadre européen n'est pas celui d'une régulation de contenus. Il ne s'agit pas de contrôler chaque tweet ou chaque publication, mais de demander aux plateformes de lutter activement contre les contenus illicites, le harcèlement ou la désinformation. C'est une logique de « compliance », une régulation systémique à l'instar de celle qui s'applique au secteur bancaire depuis la crise des subprimes.

Pourquoi ne pas considérer les plateformes comme des éditeurs, avec des responsabilités accrues ?

C'est une question intéressante. Les plateformes ne produisent pas directement les contenus, mais elles doivent en garantir un usage sûr. Nous verrons avec le temps si ce cadre est suffisant ou s'il doit évoluer. À cet égard, la manière dont elles vont respecter ou non la réglementation européenne sera un test grandeur nature. Si les plateformes ne jouent pas le jeu, il faudra alors adapter la législation, sinon les États auront la tentation de reprendre la main.

La fusion TF1-M6, finalement abandonnée, a marqué votre mandat. Est-ce une occasion manquée ?

C'était une opération complexe, avec des enjeux de pluralisme, d'acquisition de droits et d'équilibre du marché publicitaire. L'Autorité de la concurrence a estimé que cela aurait créé une position dominante nuisible aux annonceurs. À l'Arcom, nous avions une perspective différente, axée sur le pluralisme. Ce dossier reviendra probablement dans quelques années, car le marché évolue rapidement.

Quel rôle peut jouer l'audiovisuel public dans les prochaines années ?

Le service public reste un pilier essentiel, représentant 30 % de l'audience et jouant un rôle clé dans la production audiovisuelle et l'information. Mais il doit évoluer. Nous devons penser en termes de médias globaux, intégrant télévision, radio et numérique dans une stratégie d'ensemble. Cela permettrait de mieux répondre aux attentes des publics tout en optimisant les ressources.

Faut-il fusionner les entités publiques  ?

Je ne parle pas forcément de fusion, mais d'une gouvernance unifiée. Aujourd'hui, chaque entité fonctionne indépendamment, ce qui ralentit les synergies. Une stratégie commune pourrait renforcer leur compétitivité et leur pertinence face à la révolution numérique. C'est pourquoi je suis favorable à une présidence commune.

Une dernière question, plus personnelle : qu'avez-vous prévu de faire désormais ?

Après quarante ans au service de l'État, je vais réintégrer la Cour des comptes et envisager d'autres manières de servir. On ne se refait pas.

Article de Propos recueillis par Olivier Ubertall

 

 

Date de dernière mise à jour : 24/01/2025

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