« La plupart des Français ignorent les dispositions constitutionnelles en vigueur dans notre pays, tant elles sont parfois subtiles », explique Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au Budget.
Ils connaissent maintenant un peu mieux l’article 49-3 : son utilisation sur la réforme des retraites les a marqués. Le Gouvernement Borne l’avait pourtant utilisé à de nombreuses reprises dans l’indifférence générale pour faire « passer » ses budgets…
Mais un autre article de notre constitution mérite d’être décortiqué, tant il est subtil et réduit considérablement les droits du Parlement, à qui pourtant la même constitution donne en théorie l’exclusivité pour fixer les recettes et les dépenses de l’État.
Le pluriel et le singulier
Cet article (l’article 40 reproduit intégralement ci-dessous) est à lire attentivement :
« Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. »
La subtilité, largement ignorée, réside dans le pluriel (utilisé pour les recettes) et le singulier (utilisé pour les dépenses.
Ainsi, un parlementaire peut décider de diminuer une recette, à la seule condition de compenser cette « perte » par une recette équivalente. Par exemple, un amendement diminuant l’impôt sur le revenu d’un Milliard sera « recevable » si, dans le même amendement, on augmente une autre recette (taxe sur le tabac, CSG…) d’un même montant.
« 1.000 enseignants supplémentaires »
Par contre, sur les dépenses, cette compensation ne fonctionne pas : ainsi, par exemple, proposer d’embaucher 1 000 enseignants supplémentaires, sera TOUJOURS irrecevable. Même en proposant dans le même texte une recette couvrant cette dépense, même en proposant une économie a due concurrence dans d’autres charges de l’État… En aggravant le seul poste de dépenses des enseignants, la proposition n’arrivera même pas en discussion…
Les limites des pouvoirs du Parlement
Cette règle a par exemple été utilisée par la Présidente de l’Assemblée Nationale pour empêcher l’examen d’une proposition de loi du groupe L.I.O.T visant à abroger la dernière réforme des retraites. Pourtant, des recettes supplémentaires et des économies couvraient la dépense nouvelle. Le texte n’a pu être discuté, et encore moins soumis au vote.
Les discussions actuelles sur les budgets de l’État montrent – et montreront – les limites des pouvoirs du Parlement dans notre Pays. Le Gouvernement (non contraint par l’Article 40) peut facilement imposer ses orientations, et le 49/3 clôturera en plus les débats faute d’une majorité prête à censurer le Gouvernement !
Cela montre bien que notre République, contrairement aux discours convenus, n’est pas vraiment une République parlementaire !
Christian Eckert